Le Jour des morts-vivants s’ouvre sur une scène de cauchemar extraordinaire où l’héroïne, Sarah, seule et recluse dans une pièce presque nue, s’approche d’un calendrier rompant la monotonie des murs. Face à la photographie d’un champ de citrouilles (les dates sont cochées jusqu’au 31 octobre, jour d’Halloween), son œil brille un peu et sa bouche s’entrouvre. Elle tend alors la main vers l’image admirée, dans un geste qui vient mettre à bas le champ-contrechamp qui séparait jusqu’ici le cliché de son visage. Lorsqu’elle touche enfin le papier glacé, le mouvement patient se voit toutefois contrarié par un surgissement depuis le mur même, celui d’une multitude de mains décomposées. Raccord et réveil : Sarah se trouve en vérité dans un hélicoptère qui survole la plus grande ville de la région, mais les premiers mots qu’elle entendra seront pourtant « Rien, rien du tout ». Il n’y a en effet plus rien à voir ou à trouver, sinon des morts, qui peuplent un monde extérieur que symbolisait, quelques plans plus tôt, la photographie accrochée au mur. Le titre du film se révèle dans cette perspective à la fois parfaitement honnête et en même temps ironique : puisque le jour appartient désormais aux zombies, le film se terrera presque entièrement à l’abri du soleil, dans une base souterraine où une poignée de scientifiques, aidés par des militaires qui commencent à perdre patience, tentent diverses expériences. La logique du film semble par conséquent s’approcher de celle des autres volets de la trilogie : l’humanité se voit réduite à un groupe, assiégé et encerclé par des zombies, dont les rapports de force finissent par devenir le véritable centre de l’action.
Descendant / ascendant
Reste que sur deux points précis le film radicalise l’objet de la saga. Premièrement, puisqu’il n’y a plus d’extérieur, ou que celui-ci ne recouvre plus « rien », alors les personnages se replient encore davantage vers un intérieur qui n’est plus seulement spatial, mais aussi mental. Les recherches scientifiques visent en effet à percer les mystères du cerveau zombifié, et par extension à substituer au théâtre de la guerre, déjà perdue pour les hommes, les quatre murs d’un petit laboratoire. À l’exception du début et de la fin, le mort-vivant, plus qu’une figure proprement menaçante, apparaît davantage comme un cobaye. Il n’est dès lors plus seulement le vecteur de l’effroi ou le support d’une allégorie, mais aussi un corps asservi (les expériences comportementales) et éviscéré (les chirurgies), jusqu’à devenir un magma de chair informe qui déplace légèrement le centre de gravité du gore romerien. De fait, les séquences les plus sanguinolentes ne seront pas l’œuvre de cannibales ressuscités, mais bien d’un savant fou. Deuxièmement, cette trame induit quelque part de faire du sous-texte politique de la trilogie le texte même du film : à mesure que les militaires s’avilissent, « Bub », un zombie domestiqué, fait montre de progrès qui atténuent la distinction possible entre les vivants et les morts. C’est au fond l’affaire des trois films : morts-vivants et survivants forment une seule et même humanité déliquescente, courant à sa perte. Le zombie, qui à la lettre « ne mange pas pour se nourrir », devient ici à son tour un bien consommable, par le Docteur Logan, qui n’hésite à faire usage de tous les cadavres qui passent sous son scalpel.
Derrière le miroir
La trajectoire du film consiste donc, sur le modèle de la séquence d’ouverture, à réduire patiemment la distance entre vivants et zombies, par l’entrelacement de deux mouvements contraires, l’un descendant, l’autre ascendant (les militaires se rapprochent d’un état zombifié en même temps que « Bub » tend vers l’humanité), principe que le dénouement spatialisera via un ascenseur puis un escalier. Ce principe général se voit par ailleurs reconduit à l’intérieur des étapes-clefs du récit, à l’image de cette séquence où « Bub », doté d’un rasoir, regarde en direction des scientifiques tapis derrière un miroir sans tain, et ne voit que son reflet qui lui « rappelle » le geste du rasage. Non seulement la contemplation d’autrui ne renvoie qu’à sa propre image, mais de plus la disposition aux côtés de « Bub » de deux autres croix encastrées dans le mur, dispositif qui le maintient prisonnier, redouble la présence des scientifiques cachés derrière la vitre, comme le révèle le contrechamp ; plutôt que deux vivants et un zombie distinctement séparés par une frontière, il faut y voir trois croix pour trois morts.
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