Avant-dernier film de Joseph L. Mankiewicz, Le Reptile est la seule incursion du réalisateur d’Eve dans le western. Parodique et cynique, l’œuvre reprend certaines grandes thématiques chères au cinéaste et se prend un malin plaisir à dynamiter les codes du genre. Généralement considéré comme mineur, Le Reptile ne laisse effectivement pas un souvenir impérissable mais reste une curiosité à redécouvrir d’un œil critique.
En 1970, lorsque Joseph L. Mankiewicz réalise Le Reptile, il sait que sa carrière de metteur en scène de cinéma touche à sa fin. Depuis l’échec cuisant de Cléopâtre en 1963 (souvent cité comme l’un des plus grands gouffres financiers de l’histoire du cinéma), le réalisateur a totalement perdu son assise à Hollywood. 1967 marque pourtant son retour avec la sortie de Guêpier pour trois abeilles mais la consécration ne reviendra qu’en 1972 pour Le Limier, son œuvre testamentaire, dont Kenneth Branagh a depuis proposé un remake.
Autant dire qu’en 1970, lorsque le projet du Reptile s’impose au réalisateur, la donne n’est absolument plus la même que dans les années 1940 ou 1950. Encore jeune (61 ans), Mankiewicz a vu sa brillante carrière s’éroder avec la mort des Studios. Ne bénéficiant plus des mêmes crédits, témoin presque dépassé d’une industrie qui a radicalement changé de style, il reste néanmoins une mémoire vivante d’un âge d’or autant admiré que révolu. Mais l’espièglerie et la vivacité légendaires de Mankiewicz ne peuvent le contraindre à devenir un ambassadeur d’une nostalgie presque réactionnaire. Au contraire, cette étrange position qui est la sienne en cette période l’encourage plutôt à revisiter les codes inébranlables d’une époque où il fut célébré, afin de les dynamiter un par un, une manière bien originale de redevenir le démiurge qu’il fut auparavant.
Volontairement peuplé de fantômes, Le Reptile n’a pour seule volonté que de les ridiculiser. C’est probablement ce parti pris qui déconcerta la critique et le public de l’époque au point d’en faire un nouvel échec financier. Il faut dire que le réalisateur ne recule devant aucun cynisme. Pour sa première incursion dans le western (genre tombé en désuétude depuis le début des années 1960), Mankiewicz s’entoure de deux figures incontournables de l’âge d’or : Kirk Douglas et Henry Fonda. Tous deux vieillissants, les acteurs se prêtent bien volontiers à ce jeu de massacre où la figure ancestrale du héros de l’Ouest est ramenée à celle d’un lâche totalement hypocrite et incapable de donner la moindre ampleur à ses rares gestes de bravoure. À l’instar de la scène d’ouverture (un hold-up dans une riche propriété où Mankiewicz dresse un portrait bien peu élogieux des riches pionniers), chaque plan traduit un énorme décalage entre le mythe, qui fit la gloire d’un cinéma passé, et la réalité si proche du grotesque et de la farce.
Ce choix de Mankiewicz déstabilise. Pour le spectateur, il n’est pas toujours aisé de trouver le moindre point d’ancrage dans cette histoire où chaque personnage rivalise de petitesse et de médiocrité. On peut également reprocher au réalisateur, autrefois si inspiré, une certaine facilité à démonter cyniquement un système qui fit pourtant sa gloire. Mais derrière cette façade potache et ce comique parfois un peu trop pompier, on devine tout de même l’humanisme désenchanté d’un réalisateur qui, de Chaînes conjugales à Soudain l’été dernier, fut toujours un admirable témoin de son temps, implacable et souvent cruel.