La saison quatre de Marvelous Mrs Maisel commence là où la saison trois s’était arrêtée : abandonnée sur le tarmac d’un aéroport par le crooner Shy Baldwin à cause d’un sketch indélicat, Miriam n’a, dans le taxi qui la ramène, que ses yeux pour pleurer. Après une tournée faite d’insouciance et de moments suspendus, l’heure des comptes a sonné. C’est ainsi que s’amorce le deuxième épisode : Midge rend visite à son boucher, à son boulanger et à son blanchisseur pour leur demander d’augmenter son crédit. La séquence précise sans doute trop symboliquement le mode de vie qu’elle entend conserver, celui d’une artiste fauchée dans des habits, un appartement et une famille de la bourgeoisie new-yorkaise. Annonciatrice d’une saison placée sous le signe de la dette – celle, par exemple, contractée auprès du père de Joel pour retrouver son ancien appartement – cette introduction reconduit mécaniquement un principe de montage chorégraphique souvent vu dans la série (par exemple, un entretien d’embauche pour une secrétaire où défilent successivement toutes les postulantes). Sauf que la séquence frappe ici par sa rigidité, son découpage de numéro musical cadrant mal avec l’accumulation de tracas qu’elle suppose. L’impression d’assister à des gags tombant à plat se ressent devant plusieurs épisodes de cette nouvelle saison, qui peine à trouver une forme adaptée pour raconter l’inquiétude nouvelle qui taraude Midge : elle doit à la fois s’assumer comme femme divorcée et trouver un travail rémunérateur, le tout sans sacrifier ses ambitions artistiques et sa liberté. Le monde autour d’elle s’est lui aussi mis à changer : des marqueurs temporels se chargent de le rappeler, comme la campagne de Kennedy de 1960 contre Nixon qui s’immisce dans le quotidien familial.
Cette accélération de l’époque force la série à formuler ce qui la travaille. Le féminisme de Miriam se fait plus bruyant, comme l’illustre un dialogue téléphonique avec son laitier, justement placé à la fin de la tournée des commerçants au début de l’épisode deux : Midge s’énerve contre son interlocuteur qui refuse de lui faire crédit au prétexte qu’elle est enregistrée au nom de Joel Maisel, son ex-mari. Tout se passe comme s’il fallait enfin mettre des mots sur les choses. Rencontrer d’autres hommes, passer à l’acte. Pousser Susie à se prononcer sur son orientation sexuelle, en cherchant avec John Waters en personne, rencontré dans un parc, les termes servant à désigner un bar pour lesbiennes. Refusant désormais de faire les premières parties, Miriam prend un travail d’animatrice dans un strip-club illégal, qu’elle transforme de fond en comble. En coulisse, elle encourage le rapport de force entre les danseuses et leur patron. Sur scène, elle fait évoluer le spectacle, qui devient de plus en plus raffiné et inventif. À nouveau, il est significatif que le grand présupposé de la série – la capacité de Miriam Maisel à tout transformer en chorégraphie – soit cette fois-ci mis, de manière littérale, sur le devant de la scène. La désagréable impression que les ressorts secrets des personnages se retrouvent exposés, voire transformés en spectacle, est compensée par la thématisation, dans cette nouvelle saison, de cette déception même. C’est la fonction qui est donnée au travail de critique du père de Miriam, Abe, contraint d’écrire du mal de la comédie musicale d’un ami de la famille, la version pour Broadway d’une pièce jouée en camp de vacances dans un passé mythifié par leur cercle amical. Le goût pour le désuet, sur lequel repose parfois la série – c’est le « marvelous » de Marvelous Mrs Maisel –, est passé au tamis de l’analyse, qui met cette fois-ci à distance la tentation de la nostalgie.
La déception est un cheminement nécessaire, le seul, peut-être, qui permet de rendre justice au passé. C’est en partant de ce principe que la quatrième saison de Mrs Maisel finit par trouver sa voie. Et de fait, les fantômes sont nombreux. Le premier, Shy Baldwin, est omniprésent dans les conversations. Midge finit par s’expliquer avec lui dans les toilettes de luxe d’un hôtel. Le second est presque inconnu : Jackie, l’ancien patron du bar dans lequel Miriam a commencé à se produire. En préparant son éloge funèbre, Susie réalise qu’elle ignorait son passé de danseur, de héros de guerre et de fidèle paroissien. L’épisode qui lui est consacré est dédié à l’acteur Brian Tarantina, mort en novembre 2019. Le troisième fantôme, Moishe Maisel, reste suffisamment longtemps entre la vie et la mort, lors du dernier épisode, pour qu’Abe Weissman rédige en toute hâte sa nécrologie. Une fois celle-ci terminée, il court vers l’hôpital pour y retrouver un Moishe bien en vie, qui lui demande de lire ce qu’il a écrit. L’émouvant point commun de ces trois moments est l’effort vers la vérité qu’ils offrent aux personnages. Shy Baldwin se révèle dans toute sa solitude d’idole manipulée ; Jackie sort quelques minutes de l’anonymat avant d’y retourner ; Moishe devient l’objet d’une déclaration amicale inattendue. Miriam a elle aussi son épiphanie, lorsqu’elle voit ses contradictions exposées sur la scène du Carnegie Hall, dans la dispute avec Lenny Bruce qui clôt le dernier épisode. De quoi nuancer les défauts de cette nouvelle saison : les bavardages des personnages racontent, à la longue, quelque chose d’eux-mêmes, tandis que le ressassement des histoires anciennes permet de comprendre le présent. Miriam aura passé ces huit épisodes à chercher les mots pour dire les choses, avant qu’elles n’éclatent, tel un feu d’artifice, dans le dernier épisode. Laisser les illusions s’évanouir constitue à partir de là la meilleure manière d’envisager l’avenir. C’est du moins ce que croit lire Midge dans une tempête de neige en déchiffrant les caractères sur une gigantesque affiche : « Go Forward ».