Troisième volet de sa trilogie de films biographiques, Spencer voit Pablo Larraín trouver en Lady Diana une figure idéale à l’épanouissement de son cinéma. Le piège cosmétique de l’habillage arty dans lequel Jackie et Neruda pouvaient parfois tomber s’avère ici déjoué par l’importance que le film prête à l’idée du paraître. Prenant place au moment des fêtes de Noël dans un château du comté de Norfolk, le film insiste sur l’idée que chaque membre de la famille royale et du personnel de la maison tient un rôle auquel il s’accroche d’une façon qui semble parfois absurde à la princesse déprimée. Dans un rare moment de franchise – car elle seule peut se le permettre – Elizabeth II glisse même à Diana que la seule photographie vraiment importante dans une vie de reine est celle qui se destine à illustrer les billets de 10 livres, ajoutant : « When they take that one, you understand all you are, my dear, is currency. » Que le film, présenté comme « une fable tirée d’une tragédie réelle », ressemble à une publicité de parfum (mais une bonne publicité de parfum, on y reviendra) prend alors tout son sens, Diana se trouvant comme enchaînée à ce destin monétaire. À Larraín de faire ensuite de la princesse une image consciente d’en être une, lucide au point d’essayer de fissurer elle-même son propre simulacre.
Princesse K‑Stew
Cette trajectoire ne se déploie toutefois pas sans afféteries, telles les visions grotesques du fantôme d’Anne Boleyn que la princesse ne cesse d’avoir, ou le rapport ambigu qu’elle entretient avec sa favorite, menant à une scène de déclaration en bord de mer à laquelle il est difficile de croire. Des détours qui restent principalement imputables au scénario de Steven Knight, momentanément traversé par un penchant symbolique neuneu que le film s’exerce ailleurs à survoler. Nul besoin d’apparitions d’une reine décapitée pour comprendre le mal-être de Diana ; les autres incursions horrifiques du film, plus proches du body horror en tournant autour de la boulimie du personnage, suffisent amplement à le caractériser. À l’inverse, quelques-unes des autres pistes tracées par Spencer s’avèrent plus fécondes et convaincantes. Kristen Stewart, en premier lieu, a une façon vraiment curieuse et géniale d’interpréter le personnage : c’est en exagérant son accent british (impossible de s’y tromper) qu’elle parvient à retranscrire l’angoisse de Diana. Les rictus de l’actrice semblent autant dus à ses efforts pratiques d’imitation linguistique qu’à un réel trouble de persona, impression que cherchait à provoquer le cinéaste avec Natalie Portman dans Jackie, s’approchant sans cesse de son visage dès qu’il commençait (assez souvent) à se déformer pour produire des larmes. Kristen Stewart ne s’embarrasse pas de cette tradition de performance à Oscars qui guette chaque biopic, et trouve ainsi entre son détachement habituel et ses efforts vains de mimétisme vocal une manière unique d’ensorceler le rôle : il s’agit moins pour elle de devenir Lady Di que d’éprouver une familiarité avec sa personne. Le rôle qui la rendit célèbre dans la saga Twilight – celui d’une adolescente embarquée dans un conte de fée hanté par la mort – n’était après tout pas très éloigné de celui d’une princesse.
On a dit plus haut que le film ressemblait à une publicité de parfum, ce qu’il paraît difficile de nier à la découverte des nombreux travellings aériens qui épousent la trajectoire de Kristen Stewart, déambulant dans des robes de créateur le long d’interminables corridors. L’expression ne rend cependant pas tout à fait justice au travail de Claire Mathon, directrice de la photographie, à qui la beauté mystique que le film recèle doit beaucoup. Tourné majoritairement en Super 16 et en 35 mm pour quelques scènes nocturnes, le film fait la part belle au brouillard de la campagne anglaise et plonge la princesse dans une atmosphère de désolation irréelle qui réinterprète à merveille toute sa détresse et sa perdition. Enrobage funèbre admirablement complété par la partition de Jonny Greenwood, sous influence pendereckienne, dont les violons et les cuivres stridents n’ont rien à envier à ceux de Mica Levi. Enveloppant les belles scènes de voiture qui traversent le film, la bande originale vient préfigurer une issue que l’on sait tragique : en 1991, six ans avant sa mort, c’est sur la route que Diana Spencer tentait déjà d’échapper au chant mortifère des images.