À la fin de la deuxième saison de The Marvelous Mrs. Maisel, Miriam « Midge » Maisel (Rachel Brosnahan) décide une bonne fois pour toutes de dédier sa vie au stand up, et tous les personnages sont désormais au courant de cette deuxième vie qu’elle mène sur scène. Quand s’ouvre cette troisième saison, l’ensemble des nœuds principaux de la série ont ainsi déjà été dénoués et Amy Sherman-Palladino semble embrasser cette absence de conflit comme une libération. En atteste la très drôle scène du divorce entre Joel et Midge dans le deuxième épisode, qui se déroule tellement sans encombres que le juge a un doute sur la volonté du couple de se séparer. La série n’a peut-être jamais été meilleure que dans cette exploration du non-drame, ce que pointe le cinquième épisode de la saison, qui en constitue l’un des sommets. L’épisode commence par un long plan accompagnant l’arrivée de Midge et de sa manager Susie dans l’hôtel de Miami où s’établit pour une semaine la tournée du chanteur Shy Baldwin (Leroy McClain), dont elle fait la première partie. Quand la caméra traverse le seuil de l’hôtel, elle s’envole pour découvrir le hall lumineux, parcouru par de nombreux figurants tous en action. Quelques instants plus tard, au bureau de la réception, Midge remarque le grand escalier qui trône dans le hall. C’est un escalier qui ne mène à « rien » (« a staircase to nowhere »), disposé là uniquement pour que les femmes le descendent afin d’être admirées dans leurs robes du soir. La fascination de Midge pour cet escalier inutile est assez explicitement représentative de l’ambition nouvelle d’Amy Sherman-Palladino, qui privilégie notamment le fétichisme pour la reconstitution de l’époque (1960). La soirée que va ensuite passer Midge avec Lenny Bruce (Luke Kirby), comédien réel et pionnier du stand-up, mais aussi mentor et ami de notre héroïne, s’inscrit au cœur de cette démarche, notamment à travers un enregistrement de l’émission fictive Miami After Dark (inspirée de Playboy’s Penthouse), montré dans la longueur. Jusqu’à la fin de l’épisode, il ne se passera peu ou prou rien, mis à part la déambulation de Midge et Lenny.
De tels moments de « rien » (auxquels on peut ajouter les longs numéros musicaux qui parcourent les épisodes, ou des discussions sans enjeu dramatique) sont une vraie nouveauté dans la série et constituent probablement ce qu’il y a de plus beau dans cette saison. La série n’est dès lors pas sans évoquer Once Upon a Time in Hollywood… : un hall d’hôtel ou une rue animée du New-York de 1960 procurent un plaisir similaire à l’autoroute sur laquelle roule Cliff Booth en 1969. Mais si Tarantino sauve Sharon Tate et réécrit l’Histoire, on sait que quoi que fasse Mrs. Maisel, Lenny Bruce mourra d’une overdose en 1966 à Los Angeles. C’est pour cela qu’il ne peut rien se passer de romantique entre eux. Dans le cas de la série comme du film, la présence de personnages historiques au destin tragique lance en revanche un compte à rebours qui enveloppe ces œuvres d’une gravité particulière. Chaque scène de « rien » induit alors une tristesse sublime, un espace vital où chaque instant compte, aussi inutile soit-il au déroulement d’une histoire traditionnelle.
Le rire Palladino
La présence de Jason Alexander dans un petit rôle ne suffit malheureusement pas complètement à Amy Sherman-Palladino pour faire « a show about nothing » , et quelques malheureux compromis scénaristiques viennent tout de même peupler de micro-conflits cette saison. Malgré l’artificialité de certains de ces enjeux (par exemple, l’évolution bêtement chaotique de la relation entre Joel et Mei), les qualités premières de la série demeurent bien présentes. En premier lieu, le style Palladino, qu’on a eu tôt fait de rapprocher de celui d’Aaron Sorkin à l’époque de Gilmore Girls, est plus fort que jamais. Il réside dans un certain art du dialogue et dans l’anti-naturalisme consistant à doter chaque personnage d’un don du bon mot. Puisque absolument chaque personnage a de l’esprit, les dialogues brillants, rythmés, ironiques, pleins de jeux de mots, fusent sans effort. Cette qualité se voit très bien servie par la mise en scène de la série (seuls Amy Sherman-Palladino et son mari Daniel Palladino sont derrière la caméra cette saison), extrêmement cohérente depuis ses débuts, entre longs plans à la steadicam pour inscrire les personnages dans un décor souvent très riche, et champs-contrechamps finement montés autour de cette mécanique du bon mot. Il y a un vrai paradoxe du rire dans la série, entre les moments de stand-up finalement rarement drôles, mais durant lesquels on entend rire, et les interstices (la matière principale de la série), où chacun, tout en gardant un air sérieux, peut faire rire le spectateur au détour d’une phrase. Dans cette dichotomie, qui pourrait seulement être due à la différence générationnelle entre le public fictif de Mrs. Maisel et celui, réel, de The Marvelous Mrs. Maisel, la série manifeste ses failles en même temps que son originalité. Si elle a perdu de la complexité qui nourrissait les deux premières saisons, on peut espérer que dans la case de divertissement sophistiqué et un peu suranné qui est désormais la sienne, elle prolonge l’absence de drame.