On pourrait ne voir dans Nos batailles qu’un drame social de plus. Caméra à l’épaule proche des personnages pour un sujet autant social (une usine d’empaquetage de type Amazon dans laquelle Romain Duris, chef d’équipe syndiqué, lutte contre le management sauvage de sa direction) et familial (sa femme déserte le foyer sans préavis), il serait facile de n’y voir qu’une énième Loi du marché confrontant un enjeu domestique à des considérations sociétales.
Ce serait lui faire l’injure de ne pas reconnaître la finesse de trait qu’il ambitionne et de ne pas voir combien il évite scrupuleusement les pièges de ce type de scénario. Pour son deuxième long métrage, le Belge Guillaume Senez reste fidèle à la méthode inaugurée avec Keeper. Donnant aux acteurs un simple traitement du film, il leur fait découvrir le contenu de chaque scène au moment de les tourner. Loin d’être un simple gadget, cette méthode d’improvisation collective permet au cinéaste de travailler avec beaucoup de justesse chaque situation de jeu. Il en résulte que l’acteur trouve sa place dans une partition commune et que le mélange entre les comédiens d’horizons divers parvient véritablement à composer un tableau de groupe. Justement, c’est sur cette question de trouver ou perdre sa place dans le groupe (social ou familial) que nous engagent les premières scènes du film. Le suicide d’un ouvrier licencié inaugure une série de figures manquantes (le père décédé de Romain Duris, la DRH virée brutalement). Comment « faire famille » dans une entreprise capitaliste concurrentielle, comment s’avouer remplaçable dans sa propre famille sont les deux fils tissés par le film.
Le film en s’ouvrant par le suicide d’un ouvrier licencié, engage à voir comme un fait social le fait que dans chaque famille dépeinte par le film, un membre fait défaut.
La maladresse non feinte de la fille de Romain Duris qui peine à boutonner son haut de pyjama témoigne de l’attention portée à la justesse des attitudes. Ce geste malhabile renvoie à bien d’autres comme ceux des nouvelles recrues qui peinent à tenir la cadence à l’usine. C’est tout le sujet de la scène dans laquelle Laetitia Dosch rend visite à son frère pour l’épauler quelques jours face à ses soucis domestiques. Les enfants essaient de lui apprendre la petite caresse rituelle avec laquelle leur mère les rassurait. La tante en convient, elle ne trouve pas le rythme qui permet au simple mouvement des doigts qui courent sur la cuisse ou le dos de devenir une caresse apaisante qui appelle le sommeil. À l’effet de justesse s’ajoute la délicatesse de ne pas appuyer sur ces situations, et l’équilibre des ruptures de ton et d’émotions. Très souvent traversées par des sentiments contraires, les scènes parviennent à déjouer de se voir assignées à une lourdeur explicative. La danse entre le frère et la sœur sur le « Paradis blanc » de Michel Berger, casse-gueule s’il en est, touche à l’émotion dans ce basculement très rapide de la complicité à la gêne. Mais la gaucherie, c’est aussi celle, très touchante, de Romain Duris qui apprend à être père.