En 2001, lorsque l’énigmatique O Fantasma sort sur nos écrans, les réactions sont très contrastées. Entre fascination ou simple rejet, ce premier long métrage d’un réalisateur portugais inconnu de tous s’offre une place de choix au panthéon des films gay. Conscient de l’attente que suscite son nouveau projet, João Pedro Rodrigues a préféré se réfugier derrière ses références cinématographiques. Du coup, Odete ressemble davantage à un film d’étudiant prétentieux.
Drôle d’histoire que celle d’Odete. Rui (Nuno Gil) perd en deux minutes Pedro (João Carreira), le jeune garçon dont il est passionnément amoureux. Une des voisines du défunt, Odete (Ana Cristina de Oliveira), laissée par un petit ami qui ne souhaitait pas lui faire d’enfant, est autant confrontée à l’insurmontable absence. Dans un élan de désespoir, la jeune femme va faire une grossesse nerveuse et attribuer la paternité au petit ami décédé de Rui. Le jeune homme, perturbé par cette perte prématurée, rejette d’abord la jeune femme avant d’envisager que Pedro ait pu trouver le moyen de se réincarner en Odete.
Sujet central du film, Odete est un personnage haut en couleur. Grande tige perchée sur ses patins à roulettes dans le centre commercial où elle travaille, elle semble constamment embarrassée de ce corps presque masculin (jambes interminables, absence totale de rondeurs) et pourtant affublé de stéréotypes féminins (mini-short, couleurs vives, crinière au vent). Si la jeune femme renvoie son petit ami sous prétexte qu’il refuse de lui faire un enfant, elle vacille rapidement lorsqu’elle est confrontée, désormais malgré elle, à son absence, tout juste compensée par l’envoi d’un SMS méprisant. Constamment agaçante dans ses moindres excès, elle parvient néanmoins à provoquer les attentions de Rui et de la mère de Pedro qui voit en l’enfant qu’elle porte l’espoir d’une réincarnation de son fils défunt.
Mais en préambule de cette étrange confrontation, le réalisateur n’hésite pas à exploiter tous les possibles – mais s’encombre aussi des limites – du récit parallèle. Pendant de bien trop longues scènes, les parcours respectifs de Rui et d’Odete ne s’entrecroisent jamais car le réalisateur se contente d’exploiter leur incapacité à faire un deuil pour tisser de pseudo liens entre ses personnages. Surtout, bien loin de la structure fantasque et originale d’O Fantasma – passionnante quête sexuelle décousue d’un jeune éphèbe – Odete s’encombre d’un scénario trop écrit, trop balisé et considérablement pollué de références cinématographiques peu opportunes qui contribuent essentiellement à transformer le projet en un ramassis de clichés. La scène où Rui ressasse sa peine en pleurant à chaudes larmes devant la scène finale de Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s) du grand Blake Edwards tient davantage du clin d’œil cinéphilique que d’une réelle proposition scénaristique. Comme il ne suffit pas de faire apparaître des fleurs bleues ou de peindre les murs de la chambre d’Odete en rouge pour rendre hommage avec pertinence aux grands mélodrames de Douglas Sirk, en l’occurrence Écrit sur du vent. D’autres cinéastes – Pedro Almodóvar, Todd Haynes – ont rendu ces emprunts aux couleurs vives du Technicolor bien plus passionnants parce qu’ils épousaient une réelle proposition cinématographique.
Ici, João Pedro Rodrigues s’en prive littéralement. Les morts et les fantômes n’exercent aucune pression sur les vivants, tristement vidés de toute émotion. Seul constat qui peut susciter un intérêt par opposition aux bluettes particulièrement mièvres (Et si c’était vrai… à tout hasard), la mort triomphe totalement de l’amour, même du film.