Adapté de la vie de Christelle Berthevas (coscénariste d’Arnaud des Pallières depuis Michael Kohlhaas), Orpheline raconte à rebours vingt ans de la vie d’une jeune femme, Karine, incarnée au fil du récit par plusieurs actrices (Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot et Vega Cuzytek). À l’exception d’un montage parallèle inaugural, le film s’arrime tout entier à la cheville et au regard de son héroïne aux quatre visages pour explorer ses multiples facettes au gré d’un parcours qui, plus ou moins visiblement, reconduit les mêmes enjeux à chaque épisode. On pourra ainsi remarquer que tous les petits récits mettent en scène un bébé, ou un enfant, tout en reposant sur une dynamique narrative menaçant de corrompre l’innocence (ou ce qu’il en reste) du personnage (la disparition de deux enfants, le retour d’une figure du passé qui met en péril l’équilibre trouvé par l’héroïne, l’adolescence chaotique de Karine, dévorée par son inextinguible soif d’aimer, etc.). On y trouve aussi, à chaque reprise, une figure de père : le père originel, Nicolas Duvauchelle, adulte à l’écoute qui, dans un geste beau et maintes fois répété, est le seul à s’agenouiller pour se mettre à la hauteur de sa fille ; le même père, devenu violent et alcoolique suite à l’échec de son mariage ; et surtout une foule de figures de substitution dont l’aspect potentiellement protecteur va être mis à mal par l’héroïne elle-même, qui ne cesse au fond de « tester » sexuellement les hommes se trouvant autour d’elle pour à la fois éprouver la véracité de cette dimension paternelle et épancher son appétit de vie.
Sensation versus situation
On le voit bien, Arnaud des Pallières ne manque pas d’idées pour explorer à sa manière ce portrait de femme et donner à ressentir les émotions de son héroïne. Hélas, rapidement, la prometteuse mécanique révèle ses limites, autant sur le terrain de la construction du personnage, contrite par les balises qui bordent le parcours supposé sauvage de Karine, que celui de son incarnation. La pluralité des interprètes est peut-être ce que le film sous-exploite le plus, et il est d’ailleurs frappant de constater que des Pallières dirige ses têtes d’affiches sur un terrain où elles ont déjà eu amplement l’occasion de s’exprimer : les yeux brillants d’une Adèle Haenel troublée, la bouche dévorante d’Adèle Exarchopoulos (dont l’aventure saphique renvoie naturellement au souvenir de La Vie d’Adèle), mais aussi l’étrange juvénilité de la femme-enfant Solène Rigot, qui interprète ici Karine à 13 ans. La meilleure des quatre est paradoxalement la plus inexpérimentée, Vega Cuzytek, précisément parce que l’enfant est ici au cœur d’un segment reposant moins sur la frénésie des sensations du personnage (et d’un jeu qui cherche à les exacerber) que sur une situation unique : la disparition de deux de ses camarades de jeu dans une partie de cache-cache qui semble n’avoir que trop bien réussi. Délaissant le champ de la pure sensation dans lequel évoluait la Karine campée par Solène Rigot (hystérie familiale, agression des sens dans une boîte de nuit, violence des coups et des rapports sexuels avec des hommes adultes), le film trouve alors une forme de suspense ouaté qui recentre le film autour de son cœur, la perte de l’innocence. Au regard de cet horizon, il est par conséquent logique que le film s’achève par la mise au monde d’une autre orpheline, et l’émergence d’un autre père (belle scène où le compagnon joué par Jalil Lespert, enfin devenu père, est filmé comme une figure d’altérité dans l’entrebâillement d’une porte) ; un peu trop logique, peut-être, tant cette dernière étape achève de boucler un portrait non sans subtilité, mais qui souffre de reposer sur des fondations trop saillantes pour pleinement convaincre.