Il est assez surprenant de constater que Psychokinesis, le nouveau film de Yeon Sang-ho, révélé après la présentation de Dernier train pour Busan à Cannes en 2016, sorte en catimini sur Netflix. L’idée de Psychokinesis avait pourtant tout pour attirer la curiosité. Dans la veine des films fantastiques coréens de ces dernières années, le film débute avec l’apparition, sur Terre, d’une substance étrange qui donnera des pouvoirs télékinétiques à Seok-hyeon, un raté qui va tenter de renouer avec sa fille, qu’il a abandonnée lorsqu’elle était enfant. Toujours dans l’optique de coller au maximum avec la recette à succès du cinéma coréen contemporain, Yeon Sang-ho ancre cette quête d’absolution paternelle teintée de fantastique dans une critique ouverte de la société sud-coréenne. Psychokinesis fait ainsi s’affronter un groupe de marchands dépossédés de leurs boutiques familiales face à une diabolique corporation capitaliste, qui souhaite construire un centre commercial à l’endroit même où travaillent ces familles désespérées.
Ces deux axes, l’allégorie de la reconnaissance paternelle par l’acquisition de super-pouvoirs télékinétiques et le portrait d’une société bipolaire, renvoient très vite à ce qui faisait les forces et les faiblesses de Dernier train pour Busan, lui aussi divisé entre la volonté de dynamiter le film de zombie par le prisme de la farce et du mélodrame (ce qui est encore le cas ici, transposé au genre super-héroïque) et de vilipender sans ménagement le capitalisme sauvage. En l’occurrence, Psychokinesis ne peut s’empêcher, dès qu’il ne brille plus grâce aux bouffonneries comiques de son personnage principal, de sombrer dans un manichéisme grossier et démago, flattant les plus faibles pour mieux diaboliser les puissants. Et ce jusqu’à filmer les milices capitalistes et les patrouilles de flics de la même manière qu’étaient filmées les hordes de zombies du Dernier train pour Busan, soulignant un parallèle, pourtant déjà évident, entre figures cannibales zombifiées et esclaves fascisants à la solde du grand capital. Il suffit de voir les manifestants esseulés attendre fébrilement derrière leurs barricades une troupe de casques blancs en train de se presser dans un couloir étroit pour repenser, immédiatement, aux scènes similaires des wagons du train infesté de zombies. Dans Psychokinesis, les policiers sont aussi des monstres assoiffés de sang pourchassant les manifestants comme des bêtes et les forçant à se réfugier sur le toit d’un immeuble : ils se déplacent en meute et attrapent leurs victimes en empilant leurs corps les uns sur les autres.
Héroïsme capital
Les relents critiques anti-capitalistes assez balourds du Dernier train pour Busan affaiblissaient déjà la partie la moins spectaculaire du film, là où les survivants se divisaient grossièrement en fonction de leurs idéologies. Dans Psychokinesis, en concrétisant frontalement le rapport entre le zombie et le soldat capitaliste, ils plombent aussi les scènes d’action. Désormais habitées par une dichotomie stérile qui nous sort de leurs débauches d’effets pourtant brillamment chorégraphiées, ces séquences survitaminées sont à l’image du film entier : aussi spectaculaires et inventives que gâtées par un discours puéril, décrédibilisant tout programme critique. Ce constat est d’autant plus décevant que la dénonciation du fascisme libéral s’avère être, au fond, à géométrie variable lorsqu’il s’agit des pouvoirs de Seok-hyeon. Ces derniers permettent, certes, de se réapproprier les décombres de la société comme autant d’armes propices à l’insurrection (des voitures, des coffres et d’autres objets métalliques viennent fortifier le camp des résistants grâce à aux pouvoirs du héros), mais apparaissent aussi comme des outils au fort potentiel répressif et commercial, sans que cela ne soit vraiment questionné par Yeon Sang-ho.
C’est le cas lorsque, par exemple, Seok-hyeon use de ses pouvoirs pour manipuler à sa guise ses assaillants en leur faisant subir une double peine pathétique. En plus d’être dirigées comme de vulgaires pions par leurs supérieurs, toutes ces petites mains finissent par être de surcroît manipulées par le sur-homme à travers une pantomime ridicule. Celui-ci ne fait, en réalité, que réitérer les méthodes auxquelles sa fille, et lui-même, s’opposent. Enfin, une fois Seok-hyeon sorti de prison à la fin du film, celui-ci utilise ses pouvoirs pour distribuer la bière aux clients du restaurant que dirige désormais sa fille. Yeon Sang-ho décadre alors de cette scène d’allégresse et nous montre l’enseigne de l’entreprise où brille la figure du père avec la mention « Poulet super-puissant », en référence à ses pouvoirs télékinétiques. Quelle différence y a‑t-il, dès lors, entre cette figure du héros, devenue à la fois une attraction commerciale et une démonstration de force, et ce libéralisme qui bande les muscles, dénoncé sans détour dans le film ? La proportion des deux situations est incomparable, mais la logique reste la même : c’est par l’obtention du pouvoir, qu’il soit économique ou surnaturel, que l’on obtient le succès, le respect ainsi que, par ce biais, l’absolution familiale et le pardon tant espéré. Drôle de programme.