Au regard de son ambition – une réinterprétation filmique de l’essai éponyme de Didier Eribon –, Retour à Reims (fragments) de Jean-Gabriel Périot n’est pas sans décevoir. Le film prend la forme d’un agrégat d’éléments composites : les fameux fragments du titre (des extraits lus du livre), et un ensemble d’archives disparate (issues de documentaire, de reportages d’époque, de plateaux télévisés et même de fictions). Que le documentariste, par souci de clarté, abandonne certains thèmes centraux du texte (notoirement le rapport à l’homosexualité) n’est pas un problème en soi. Les segments choisis ont le mérite de poser avec pédagogie les jalons d’une histoire politique du mouvement ouvrier, organisée en deux temps : d’abord, une structuration autour d’une culture de classe et de souffrances communes ; ensuite, une désagrégation visible à travers l’échec des groupes politiques de gauche et la montée en puissance de l’extrême-droite. Il est cependant regrettable que Périot retire au texte ce qui faisait la singularité de son auteur : Didier Eribon est un transfuge de classe (dans son ouvrage, il porte un regard rétrospectif sur son parcours), concept au cœur de son travail sociologique. Paradoxalement, si le découpage du texte privilégie le récit de l’histoire de sa famille aux considérations plus théoriques, le regard du philosophe ne transparaît pas dans le film. La lecture en voix-off d’Adèle Haenel, très sobre, tend vers une forme de neutralité : il s’agit d’un récit d’Histoire, certes à la première personne, mais dont la part sensible ne cesse de s’amenuiser.
Si le préambule de la seconde partie met en évidence le talent de Périot pour le montage d’archives, l’utilisation de celles-ci n’est pas convaincante à l’échelle du film entier. À partir d’un corpus composé d’images riches et émouvantes, le cinéaste n’accouche que d’une structure monolithique, effrénée, qui télescopent les images sans se soucier de leur origine (fictive ou réelle). Strictement illustratives, les archives soulignent ce que la narration énonce. Cet équilibre précaire, sans véritable prise de risque, s’effondre lorsque le film passe en force au cours d’un épilogue pénible. Prolongeant artificiellement le désir, cher à Eribon, de voir les classes populaires faire front autour de luttes communes, Périot monte avec une emphase pataude un medley étonnant : un agglomérat d’archives concentrant tout ce qui a ressemblé, de près ou de loin, à une lutte populaire ces dernières années (« Nuit debout », le mouvement des Gilets jaunes, #Metoo, « Justice pour Adama », etc.). Comme si toutes les nuances et la gravité de ce que nous dit Eribon pouvaient être écartées par la seule jonction de ces images de foules et d’un bon gros riff de guitare.