Au regard d’Une jeunesse allemande, l’extraordinaire documentaire d’archives retraçant l’histoire de la Bande à Baader sorti en 2015, Lumières d’été, le nouveau film de Jean-Gabriel Périot, apparaît pour le moins déstabilisant. Ce n’est pas tant la cohérence et l’application de la transition du documentaire vers la fiction qui posent problème – ce long-métrage est le prolongement direct du travail du réalisateur sur la mémoire d’Hiroshima, entamée en 2007 à travers le court 200 000 fantômes – mais la surprenante fadeur qui envahit progressivement le film : la douleur du souvenir ne trouve comme aboutissement qu’une aquarelle familiale mièvre. Périot procède pourtant à une installation théorique méticuleuse : Lumières d’été s’ouvre sur une longue séquence pré-générique qui met en scène un jeune réalisateur japonais, Akihiro (Hiroto Ogi), filmant le témoignage d’une survivante de la bombe atomique dont le récit, raconté au détail près, laisse apparaître une douleur intacte malgré le passage du temps. Film dans le film, documentaire dans la fiction, réagencement du réel : cet incipit singulier fonctionne comme un portail entre plusieurs dimensions dans lequel le cinéaste s’engouffre symboliquement, délaissant le montage d’images préexistantes pour créer et organiser celles qui lui sont propres. Lumières d’été commence véritablement au sortir de cette séquence : Akihiro, bouleversé par ce qu’il vient d’entendre, erre dans les rues de la ville et s’arrête respirer quelques instants dans le Parc de la Paix. Il rencontre Michiko (Akane Tatsukawa), une belle jeune femme, insouciante et mystérieuse (elle porte des habits d’une autre époque, sans s’en apercevoir) qui l’entraîne irrésistiblement dans une promenade dans le Hiroshima d’aujourd’hui.
Il y a un double exorcisme qui sous-tend le film : celui de la ville martyre et celui du réalisateur lui-même. Le travail titanesque de collection, de documentation et de montage qui fut nécessaire pour concevoir Une jeunesse allemande (plus de dix ans de recherche) semble avoir été si usant que l’on sent Périot animé d’un désir de réalisation exactement inverse, comme pour chercher une délivrance. Lumières d’été est un film qui se dépouille scène par scène de de sa charge mémorielle funeste pour s’évader, fuir l’épicentre urbain et recomposer un bonheur très simple : une famille, une maison au bord de l’eau et le passé qui se transmet de générations en générations, moins tragique que festif, par le souvenir des traditions et des anciens.
Fantômes trop ingénus
La première partie convainc par sa limpidité et son ludisme : Périot s’amuse de son amourette – il ne faut pas trop se forcer pour découvrir la véritable nature de l’énigmatique Michiko, l’essentiel n’est pas là – en multipliant les clins d’œil cinéphiles, de Hiroshima mon amour à Vertigo. La naïveté et la gaieté de la jeune femme entraînent Akihiro dans une réinitiation au monde. La douceur et l’élégance de ce badinage sont pourtant toujours contrebalancées par la forme du film qui prend en charge les résidus sombres de l’Histoire : filmée en caméra portée et en longue focale, cette première partie urbaine est très chaotique, l’image sursaute, le cadre oppresse, là où le montage cherche, au contraire, à atténuer ce rendu très brut, agençant les plans pour donner l’impression d’un film aérien qui se démène pour décoller. Le réalisateur reste constamment sur les visages de ses deux acteurs, refusant volontairement de filmer les bâtiments d’Hiroshima et de faire l’inventaire des traces traumatiques du passé. Il ne s’agit pas de les masquer mais plutôt de les traduire, de les figurer sous forme d’impuretés et d’accrocs visuels dans un film poétique qui s’évertue coûte que coûte à célébrer la vie et l’harmonie.
Lumières d’été finit malheureusement par se perdre dans sa frivolité : dans leur échappée, Akihiro et Michiko sont accueillis dans une petite maison sur la côte par un vieil homme et son petit-fils, envers lequel ils jouent, l’espace de quelques jours, le rôles de parents de substitution. En cherchant à épouser les motifs du cinéma japonais contemporains, de Kore-eda à Kawase (la recomposition de l’intime, l’importance de la famille, le mysticisme des ancêtres), Périot est confronté aux mêmes problèmes que ses modèles : la récit tendre et touchant se transforme en leçon de vie niaise, la légèreté devient rapidement anecdotique. Ce qui était esquissé dans la première partie – croire en l’humanité pour oublier l’inhumanité – revient de façon beaucoup trop appuyée. Le film ne parvient pas à mettre en perspective les thèmes qu’il brasse, se contentant d’une œuvre superficielle qui tend à tout régler par l’ingénuité. Cette volonté de ne rien céder à l’hystérie et faire l’éloge du calme et de la sérénité était louable, elle s’avère finalement insipide : Lumières d’été rate le coche, celui d’être un film poétique et hanté, personnel et universel.