Des adolescents partent pour une aventureuse colonie de vacances : le canoë et la spéléo, tout ça est bien amusant et sympathique. Mais le plus important est évidemment la relation au groupe, la sensualité et la drague. Sophie Letourneur promène sa caméra avec une approche originale que l’on pourrait définir comme une scénarisation du réel. Une belle réussite, notamment parce que l’image souvent brute n’est pas contaminée par l’obsession de la formulation d’un discours, qui montre que le cinéma sait, parfois, évoquer cet âge délicat.
La condition adolescente est un vrai sujet en soi, pour ne pas dire un genre cinématographique. Le pire cohabite avec le meilleur. Pour les plus récents, au rayon imposture, on peut évoquer 15 ans et demi, où l’on prétendait parler de cet âge sous prétexte qu’on y écoute Skyrock et qu’on s’excite sur MSN. Il y a bientôt un an, Céline Sciamma se plaçait dans le camp opposé, celui de l’habileté, avec Naissance des pieuvres. La jeune cinéaste adoptait un superbe regard naturaliste et poétique sur les hésitations, les blessures et l’expérimentation. Avec une méthode hybride, entre documentaire et fiction, Sophie Letourneur compose un joli portrait impressionniste et vibrant de jeunes gens en groupe.
Comme toute colonie de vacances, tout commence sur un quai de gare. Moment premier et fondateur où chacun lance des regards, dont le contre-champ n’est ici jamais rendu, en se projetant éventuellement, amoureusement ou amicalement, vers d’autres. Et le film commence fort par sa capacité à saisir en gros plan ce mélange d’inquiétude et d’exaltation que dégagent les visages individualisés : moues et regards dubitatifs, mimiques et tics nerveux. Ici le montage, contrairement au reste du film qui fonctionne plutôt par blocs, s’avère plutôt vif, les cadrages sont rendus vacillants par l’effet de zoom qui fait que l’on comprend que la réalisatrice se tient à distance. Des parents signent une décharge pour que le fiston puisse fumer. Qu’à cela ne tienne, la colonie sera un espace de permissivité, ceci en passant, s’il le faut, par la transgression.
Le corps adolescent n’est jamais « normal », il est toujours « trop » ou « pas assez ». Si ce point était au centre de Naissance des pieuvres, où les trois personnages présentaient des corps à leurs yeux « anormaux », Sophie Letourneur, sans lui tourner totalement le dos, n’insiste pas sur ce fait. Il s’agit en fait d’un déplacement de la problématique du corps vers la représentation de la sensualité. Et elle a trouvé à qui parler, notamment Marion qui transforme une partie partie de baby-foot en une torride parade amoureuse. La cinéaste évoque cela sans détour : « Ils sont chauds comme la braise, quand je regarde les adolescents, je sens ce sex-appeal. » La chaleur estivale et la piscine font que les peaux sont de sortie, visibles, libres voire disponibles, la « donnée » corps s’en trouve exacerbée.
Après le prologue en gare, le voyage en train est l’heure des premières prises de contact, passant par la parole mais aussi par la disposition des corps dans les wagons : duo, carré, triangle. Autant d’architectures des rapports sentimentaux et amicaux qui n’auront de cesse de se faire et se défaire. Roc & Canyon offre une belle variation sur le rapport de l’individu au groupe. L’adolescence est un âge de la vie où le phénomène grégaire et l’appartenance au (ou à un) groupe sont des questions centrales, vitales. La caméra de Sophie Letourneur se fait presque anthropologique en captant les divers procédés d’inclusion ou exclusion du groupe, les multiples combinaisons des rapports de toute nature entre individus. Se forment ainsi des figures géométriques en perpétuelle mutation, au sein desquelles les êtres s’adaptent en permanence à de nouvelles donnes, ce qui induit et explique cette forme de versatilité adolescente, amplifiée ici par le fait que la colonie est un vase clos et provisoire. Ce jeune garçon planqué sous une épaisse tignasse se tenant d’abord à l’écart est significatif à cet égard. Et en plus, comble du snobisme : il a le nez dans un bouquin ! Peu à peu, il rattrape le groupe, à moins que ce ne soit l’inverse… Sans férocité, la cinéaste questionne aussi la place de l’individu et sa part de liberté dans un contexte grégaire. Vécue en groupe, l’adolescence demeure un périlleux exercice solitaire.