Longtemps pressenti comme l’un des grands favoris au palmarès du dernier festival de Cannes, le nouveau film de Naomi Kawase est reparti bredouille, laissant ses plus fervents défenseurs dans le désarroi. C’est un fait : Kawase divise, et pas qu’un peu. Pourtant, rien de follement polémique dans son cinéma épris de nature et de silence, parfaitement appliqué jusque dans les moindres tremblements de la caméra, qui se rêve en double sensible des plus furieuses envolées lyriques d’un Malick. Qu’elle verse dans le documentaire ou dans la fiction, la réalisatrice japonaise déroule sagement la même pelote formelle, perpétuellement ébahie par le son du vent dans les arbres et la beauté du jour qui décline, dans une fausse économie de geste qui confine à la pose.
Supernature
Avec Still the Water, Kawase signe ce qui pourrait bien être l’œuvre-phare de sa filmographie – au sens littéral du terme, le film éclairant aveuglément les travers de ses partis-pris esthétiques et de son approche pour le moins naïve des choses de la vie. À première vue, pourtant, la cinéaste se fait rugueuse, triturant la chair et le sang d’une bête qu’on égorge, renvoyant sur les rivages d’une île paradisiaque le corps d’un homme noyé. Mais très vite, l’intrigue de Still the Water délaisse les mystères de son prologue aux faux airs de whodunnit pour se recentrer sur une chronique adolescente plus attendue. La place de l’Homme dans son environnement, son rapport aux forces de la nature et son incompréhension face aux grands bouleversements de l’existence : tout un programme auquel vont être confrontés Kaito et Kyoko, deux adolescents. Lui ne comprend pas comment s’aiment les adultes ; elle s’interroge sur le sens de la vie au moment où s’achève celle de sa mère, gravement malade.
Le dernier combat
Emballée par son scénario-somme, Kawase joue la carte de l’équilibrisme, compensant les travers d’une intrigue trop balisée par une mise en scène qui s’obstine à transformer le moindre plan en moment de grâce. Mais à trop vouloir débusquer celle-ci, la provoquer, voire parfois la fabriquer de toutes pièces et la systématiser jusqu’à en faire un véritable procédé, la réalisatrice en évacue toute la spontanéité, toute la beauté. Le plus souvent, Kawase surligne son propos à grands renforts de plans contemplatifs où elle nous rappelle que les Hommes, ces toutes petites choses, ne sont rien devant l’ordre immuable du monde qu’ils habitent : la mer qui caresse mais engloutit, le vent qui apaise mais qui détruit, la vie qui donne et qui reprend. Parfois, la démarche fonctionne et trouve son sens, à l’image de cette splendide scène de veillée autour de la mère malade, où l’entourage chante et danse sur l’air préféré de celle qui n’est pas encore partie. La fièvre s’empare de tous les corps dans une transe généreuse dont la légèreté, enfin, n’est plus feinte mais réellement aérienne : la mort, ici, n’est pas une fin, mais un nouveau départ, une forme de joie. À l’opposé du drame familial et hystérique qui se joue dans le dernier tiers du film, où les travers habituels de la cinéaste se muent en une partition empesée où l’Homme et la Nature s’affrontent : qui criera le plus fort, l’adolescent éploré ou les vents déchaînés ? La cinéaste a beau achever son film sur un plan apaisé, où la pureté nue des deux adolescents se laisse doucement bercer par les courants marins, rien n’y fait : l’artificialité de la démarche de Kawase agace plus qu’elle n’épate.