On rêverait d’un Genpin semblable au carnet de notes d’une sociologue qui fait son terrain ; on l’aimerait vraiment humble, simplement heureux d’être totalement en prise avec son objet, cette clinique Yoshimura à Okazaki au Japon qui propose une assistance pour des accouchements naturels. Si le nouveau documentaire de Naomi Kawase a le mérite de donner une visibilité à ce micro-fait de contre-société, le style de Kawase semble s’être délesté de tout effort de construction formelle, au profit d’une reproduction dégradée de ses propres clichés thématiques.
L’autocensure rode chez les critiques : Kawase étant à l’honneur en ce moment même à la Cinémathèque, il serait bien mal vu d’évoquer à nouveau, comme tant d’autres l’ont fait à tort ou à raison, sa mièvrerie animiste, ce relent de niaiserie pseudo-philosophique qui plane sur son cinéma documentaire. Ce n’est pas Genpin qui fera malheureusement disparaître le spectre de ce reproche. Les premiers plans, à l’animisme poussif, sur-signifient en offrant à notre regard les quatre éléments à l’état séparé. Autrement dit, Kawase ne filme pas la Nature, ses mouvements de séparation (Malick) ou ce qu’il naît concrètement de la rencontre de ses éléments (Tarkovski), mais recopie un traité de biologie. Et, pour le plus grand malheur du spectateur, personne n’a encore osé lui demander de fixer sa caméra sur un pied et laisser au placard familial sa caméra DV pour une image un peu moins dégueulasse. Genpin n’est pas un film mineur. C’est bien l’œuvre d’une grande cinéaste autonome, en pleine possession de ses moyens, mais qui nous envoie un brouillon de son étude de cas. C’est le film bâclé d’une élève remarquable, voilà tout.
C’est aussi la raison pour laquelle on y trouvera des choses intéressantes à glaner, à condition de faire le travail de réflexion que Kawase n’a pas fait. Car son sujet est fascinant. Il s’agit des accouchements non médicalisés tels qu’ils sont pratiqués dans une Clinique atypique où les femmes viennent vivre leur grossesse loin du monde froid et outillé de nos hôpitaux urbains. À un montage qui aurait pu opposer deux types de pratiques d’accouchement, Kawase a préféré l’immersion dans l’établissement du touchant docteur Yoshimura, âgé de soixante dix-huit ans, suffisamment sage pour retenir de la médecine occidentale ce qu’il pense être en accord avec les dispositions naturelles de ses patientes. Le film touche juste lorsqu’il colle le plus près possible à ce qui confère au lieu son rythme : l’entraînement physique (la découpe à la hache, les assouplissements) et son pendant psychanalytique, un dispositif collectif d’écoute, pour la parole de femmes parfois encore meurtries jusqu’aux larmes par le souvenir d’anciennes césariennes et autres violences « professionnelles ».
Ce que Kawase esquisse le mieux dans Genpin, c’est cette image d’une ascèse contemporaine. Et dans ascèse, il faut faire vibrer le sens corporel du terme, c’est-à-dire exercice de ce corps féminin mis au travail. Perpétuellement en action, les femmes, par la répétition des mouvements, s’arrachent à la représentation d’un corps encombré, contenant handicapé et rivé à l’acte d’engendrer pour l’affirmer comme une matière aussi élastique que l’esprit. Les traits saillants que l’on peut trouver dans le documentaire de Kawase, il le doit donc au réel, non à la forme même du film, comme lorsqu’on apprend tardivement que le vieux obstétricien fut par le passé abandonné par sa fille. Et nos cœurs de spectateurs déchirés par le pathétique de cet ermite. Mais tout cela n’est que le fait du réel : Kawase n’y peut vraiment rien.