Alors que le cinéma japonais décroît dans nos salles d’exploitations, le cinéma coréen n’en finit pas de nourrir la soif d’exotisme du cinéphile parisien. Plus qu’une flopée de nouveaux auteurs, c’est surtout une « qualité » (comme on parlait avant de « qualité française ») qui ressort de tous ces films : vision noire du monde, violence sèche et maniérisme léché que l’on retrouve aussi bien chez le vétéran Im Kwon-taek que l’outsider Kim Ki-duk (finalement, seul Hong Sang-soo se distingue du lot). Park Chan-wook, primé à Cannes pour Old Boy en 2003, incarne parfaitement les systématismes de ce cinéma avec une agaçante désinvolture de surdoué.
Un mal sévit dans le cinéma actuel : le cinéaste qui s’admire à travers son film. Amoureux de son talent, se regardant filmer, persuadé de la qualité exceptionnelle de sa réalisation, il suscite bien peu de sympathie. Chez lui, le dispositif de la mise en scène ne cherche pas à élever le récit ni à en développer le propos mais à se mettre en valeur soi-même, parfois au détriment du film. C’est un mal que l’on retrouve énormément dans le cinéma coréen, l’un des plus maniérés qui soient, y compris dans des films intéressants comme The Host (Bong Joon-ho, 2006). Park Chan-wook est, de loin, le pire de ces cinéastes car le plus détestable. Il y a dans ses films une pulsion assez atroce qui le pousse constamment à humilier les personnages (donc les comédiens), à les filmer sous leur plus mauvais jour, assouvis, rabaissés, dans des postures ridicules… Son seul désir, c’est de soumettre leur dignité à la toute-puissance de la mise en scène.
C’est grave, d’autant plus que Park Chan-wook est un cinéaste estimé (bien que controversé), chez lui comme à l’étranger, et que son film le plus célèbre, le désagréable Old Boy, bénéficie d’une aura de film culte : on le conforte dans son bon droit. Est-ce donc cela le cinéma maintenant : la liberté absolue de l’artiste d’utiliser son pouvoir pour avilir sa création ? Est-ce cela que l’on doit saluer ? Le débat sur le travelling de Kapo, soudain, paraît bien loin. Car le cinéma de Park Chan-wook n’agresse pas seulement les personnages, il s’en prend aussi au spectateur. Mettre en scène des enfants ligotés en passe d’être exécutés et imposer frontalement une telle image au sein d’une réalisation purement formelle pour justifier la teneur douteuse de l’histoire dans Lady Vengeance (l’un des films les plus odieux de ces dix dernières années), c’est aussi une manière d’intimider le public.
Fort heureusement ce genre de cinéma, obnubilé par lui-même, ne repose sur aucun discours viable et se voit tôt ou tard confronté à la pauvreté de son propos. Voulant changer de registre en passant à la comédie sentimentale loufoque et légère avec Je suis un cyborg, Park Chan-wook est contraint de laisser de côté tous les artifices qui pouvaient donner l’illusion d’une certaine profondeur thématique : la violence excessive et racoleuse, l’efficacité roublarde du récit de vengeance, le style figuratif du polar hard-boiled… Ici, toutes les outrances formelles du cinéaste (idées visuelles pour les raccords, cadrages atypiques, effets numériques inédits) peinent à masquer l’inconsistance de cette romance mièvre sur fond de folie débile. Car il y a une chose que Park ne comprendra sans doute jamais, c’est qu’il doit se sentir concerné par ce qu’il raconte pour que le sujet soit traité. Sans quoi le film ne peut exister (puisqu’il ne l’intéresse finalement pas). Or, manifestement, l’amour et la folie sont deux thèmes qui le laissent totalement indifférent mais qui sont suffisamment riches en clichés et en idées reçues pour être considérés comme autonomes et fonctionner en tant que tels. Ils servent de toile de fond.
L’amour est donc ce qui permet à l’histoire d’avancer : dans un hôpital psychiatrique, un jeune homme un peu dingue tombe amoureux d’une jeune fille persuadée qu’elle est un cyborg et qui refuse obstinément de se nourrir. Parviendra-t-il à la faire manger malgré sa démence et lui éviter ainsi une mort à petit feu ? La réponse est oui. Quant à la folie, elle est ce qui autorise les digressions du récit. C’est précisément là que s’engouffre Park Chan-wook, prenant trop rapidement les délires pathologiques des personnages pour un (nouveau) prétexte à les montrer comme des êtres idiots, et se servant de leurs hallucinations pour faire la démonstration de ce qu’il estime être sa flamboyance cinématographique mais qui n’est rien d’autre que la posture puérile du réalisateur qui veut que l’on remarque avant tout sa mise en scène. C’est son égocentrisme qui est le vrai sujet de son cinéma. Quand il en prendra conscience, peut-être qu’il fera enfin des films dignes d’intérêt.