On l’a un peu oublié, mais Zack Snyder a commencé sa carrière avec un remake du fameux Zombie de George A. Romero qui déjà, du moins dans nos contrées, s’appelait L’Armée des morts. Si en vingt ans le style du cinéaste a bien changé, une chose relie toutefois les deux films : ils témoignent d’une même conscience de ce que peut, ou ne peut plus faire, le genre qu’ils investissent. En 2004, dans le sillage de 28 jours plus tard, sorti en 2002, les zombies devaient être plus rapides, plus véloces, plus voraces. En 2021, triomphe mainstream du zombie oblige (The Walking Dead), Snyder pousse la logique un cran plus loin : il s’intéresse moins à la masse grouillante et anonyme des zombies lambda qu’à une poignée d’übermenschen dégénérescents, des zombies « alphas », dont le chef, dans un clin d’œil aux super-héros que le cinéaste a beaucoup filmés, porte une cape. Le genre est devenu tellement commun que Snyder peut condenser les scènes archétypales qui le composent dans un générique constitué de vignettes-lieux communs. Et puisqu’il n’est plus possible d’innover, sinon en proposant toujours plus – récits interminables à la télévision (The Walking Dead en est à sa onzième saison, sans parler des spin-offs, web-séries et films à venir), zombies toujours plus rapides dans World War Z –, il faut hybrider. Army of the Dead sera donc tout à la fois un film de casse, une comédie d’action, et un actioner horrifique.
Plusieurs problèmes limitent la portée potentielle de ce mariage. Pour commencer, et on s’étonne que la chose ait été si peu dite, Snyder n’a jamais été un très grand metteur en scène d’action. Il n’est pas anodin que la scène la plus remarquée du récent Justice League : Snyder Cut, qui a redoré le blason du cinéaste aux yeux de la critique et du public, soit celle où Flash, l’homme qui va plus vite que l’éclair, sauve une jeune femme au ralenti. C’est précisément en dilatant au maximum l’action que Snyder parvient à retranscrire son mouvement et sa logique. En cela, le cinéaste fait partie d’une famille de metteurs en scène qui, plutôt que de chercher à capter la vitesse d’une action, distordent (par le ralenti ou par le découpage) cette dernière afin de pouvoir suivre la cadence (autre réalisateur qui exemplairement fait la même chose : Guillermo del Toro dans Hellboy et Pacific Rim, où la lenteur des colosses d’acier est le garant de la lisibilité du découpage). On rétorquera que l’intérêt des films de Snyder se trouve ailleurs, dans l’iconisation des figures (car le ralenti participe avant tout chez le cinéaste d’une entreprise de sublimation) et une gourmandise plastique. Admettons, mais le spectateur d’Army of the Dead restera cette fois sur sa faim, tant la photographie se borne à un mélange de flou et de flares. On pourra aussi objecter que l’hybridation du film n’évite pas une impression de déjà vu : on pense aux zombies surpuissants qui envahissaient un Las Vegas abandonné dans le troisième volet de la saga Resident Evil, mais aussi de manière plus évidente à Peninsula, sorti il y a quelques mois, qui proposait peu ou prou la même trame d’un casse dans un espace confiné et dominé par des zombies.
Sur le divan
Une question se pose alors : pourquoi Snyder a‑t-il fait ce film, qui ressemble de près comme de loin à un divertissement plutôt efficace, mais pour le moins sommaire ? Pas pour des raisons politiques, quand bien même le récit brasse des sujets dans l’air du temps (piques à Trump, parallèle avec l’épidémie de Covid-19, références aux dérives possibles de la politique sanitaire, etc.). La réponse la plus intéressante implique de procéder à une forme de psychanalyse sauvage. On sait que Snyder a connu ces dernières années un drame personnel : le suicide de sa fille. Le scénario d’Army of the Dead en porte la trace, puisqu’il raconte dans ses plis l’histoire d’un père, Scott (Dave Bautista), qui va aux enfers pour sauver sa fille, et que même le chef des zombies se révèlera être un père en deuil. Cette piste prend toutefois un tour plus pervers et abrasif dans le dénouement où, par le rejeu d’une scène traumatique, père et fille échangent leur place respective : Snyder imagine alors un monde où, métaphoriquement, la fille de Scott/sa propre fille doit littéralement ressentir la douleur qu’a connue son père/Snyder lui-même, et plus loin vivre à son tour avec le poids du deuil. Belle idée noire, hélas limitée, en cela qu’elle ne dépassera jamais l’horizon du seul scénario.
À ce petit jeu, on notera aussi l’étrange tension qui semble entourer le rapport que le cinéaste entretient avec l’horizon du couple (d’autant plus étrange quand on sait que l’épouse de Snyder est aussi la productrice de ses films). Outre le fait que la destruction de Las Vegas soit indirectement provoquée par l’insouciance de jeunes mariés, Scott, dans un flashback, achève sa propre femme zombifiée, puis voit tout espoir de nouveau départ partir en fumée : lorsque se dessine pour lui, au milieu du casse, la perspective d’un remariage, le récit, là encore littéralement (tout est littéral chez Snyder), tord le cou à cette perspective. Army of the Dead est moins un film de zombies qu’une séance chez le psy à ciel ouvert.