Après le remarqué Changement d’adresse, succès inattendu de 2007, Emmanuel Mouret passe de la quête de l’amour à la volonté de réussite de celui-ci. Cultivant toujours son double de fiction, son Pierrot lunaire aux allures dégingandées, Mouret charme toujours si l’on regrette parfois qu’il ne prenne pas un peu plus de risques avec son sujet, notamment dans la mise en espace des saynètes qui le composent. Ovni du cinéma français, il a cependant l’art de mettre en scène le doute amoureux, sans se perdre dans une psychologie facile.
En bon fanatique de Schubert qu’est Emmanuel Mouret, il a construit son film comme une sonate : on commence par l’allegro, la présentation des narrateurs, des personnages ; intervient ensuite le mouvement lent, l’adagio, qui raconte l’histoire fondamentale, celle qui tend vers une morale finale, celle qui développe le sentiment profond, le cœur du problème et, sans doute, celui du réalisateur. Le dernier mouvement voit l’accélération de l’intrigue, et son dénouement dans un esprit de légèreté connu et apprécié des admirateurs de Mouret. On retrouve d’ailleurs dans Un baiser s’il vous plaît tout le charme de son précédent film, Changement d’adresse, à quelques exceptions près. S’il n’a perdu ni sa fantaisie ni sa capacité à la variation amoureuse atemporelle qui ne se fixe sur aucune mode si ce n’est celle de la galanterie, il manque un petit point d’ancrage dans l’extérieur cette fois, notamment dans un Paris un peu vidé de sa substance, et dans la direction de Virginie Ledoyen qui reste un brin trop sage pour coller à ce cinéma hors norme.
Les femmes, justement, parlons-en. C’est à elles qu’Emmanuel Mouret dédie tous ses films, c’est pour elles qu’il fait du cinéma, ce sont aussi les centres de ses contes. La vraie intelligence de Mouret est de ne jamais sacrifier à la mode démonstrative du temps son extrême délicatesse et sa grande pudeur envers la gent féminine : le corps de la femme est fait pour être dévoilé, mais pas observé. La caméra de Mouret montre donc des visages, des jambes très truffaldiennes. Fait pour la nudité, ce que Brassens appelait le « blason » est progressivement déshabillé, comme une fleur que l’on effeuille, sans l’arracher. Plus précisément, les deux femmes de ce film sont Julie Gayet (très touchante, très juste) et Virginie Ledoyen (un peu trop mécanique peut-être, mais il est toujours agréable de revoir une actrice phare de la fin des années 1990 un peu oubliée depuis Huit femmes en 2002) : la première est la narratrice de l’histoire de la seconde. Émilie, spécialiste du tissu, de ce qui cache les corps et les meubles, rencontre Gabriel (Michaël Cohen), un ange encadreur. Comme elle le dit, il n’existe pas de « baiser sans conséquences » parce que « certaines histoires vous font un certain effet ». L’histoire est celle de Julie (Virginie Ledoyen), meilleure amie de Nicolas (Emmanuel Mouret), mais mariée à Claudio (bellissime Stefano Accorsi). Alors que Nicolas se désespère d’un « manque d’affection physique », elle lui propose de coucher avec lui pour le guérir de ce manque. S’ensuivent alors le bonheur et le désespoir (toujours léger) de s’être trouvés après s’être mariés.
Le cadre, la foule, le mouvement est représenté ici par les femmes. Au milieu de celles-ci, le personnage auto-fictionnel de Mouret, sorte de Gaston Lagaffe du cinéma qui guide les Japonaises dans Paris et fume en sortant de son jogging, trône : non que le réalisateur se fasse mousser, mais il fait partie intégrante, au même titre que l’Augustin d’Anne Fontaine, de son œuvre. La seule anicroche n’est donc pas tellement l’auto-caricature dans la récurrence, mais peut-être l’absence de perspective spatiale de la trame. La plupart des scènes de couple, quel qu’il soit, sont tendres, drôles, et réussies, notamment la première scène d’amour entre Julie et Nicolas, résumée assez sympathiquement dans l’affiche du film. Sans grandiloquence, Mouret moque sa légèreté en mettant du Strauss sur une scène de déshabillage, mais il ne réussit pas toujours à mettre en scène l’irrésistible comique de situation dont il a le talent. Les séquences de rue, par exemple, ne prennent que rarement l’espace en compte. Film de personnages, Un baiser s’il vous plaît manque donc parfois de diversité.
Le film a malgré tout une très grande qualité : la tendresse. Mouret ne cherche jamais à faire de sa fable quelque chose de plus emporté, ne cherche jamais à faire de sa sonate tantôt douce, tantôt vive, tantôt émouvante, une symphonie plus complexe. Le petit bémol que l’on a souligné à propos de la direction d’acteurs est souvent balayé par la douceur des êtres qui peuplent le film : on n’avait pas fréquemment vu Julie Gayet dans une telle fraîcheur, et on ne dira jamais assez combien Frédérique Bel est pleine de fantaisie intelligente. Un baiser s’il vous plaît n’est ni un brûlot générationnel ni un tableau purement social, c’est un film qui vaut pour lui-même et non pour ce qu’il représente ou ce qu’il dénonce. Un film aérien qui donne envie d’être amoureux, même pour un seul baiser.