On ne présente plus Manoel de Oliveira, réalisateur portugais prolifique de 95 ans, qui signe avec Un film parlé une œuvre surprenante, étonnante synthèse d’un parcours atypique et cosmopolite. Un an après Le Principe de l’incertitude, l’homme sage nous donne un cours d’histoire passionnant, simple et ludique, et s’interroge sur le langage, le plus beau témoignage d’une histoire et d’une civilisation.
Rosa Maria est une femme savante, professeur d’histoire à l’université de Lisbonne. Partie rejoindre son mari en Inde accompagnée de sa jeune fille, elle profite du déplacement pour découvrir le bassin méditerranéen et ses vestiges du passé qui font notre présent. À bord d’une croisière, elle quitte en premier lieu Marseille pour rejoindre les vestiges du vieil empire romain (les ruines de Pompéi), puis vogue tranquillement vers Athènes pour atteindre ensuite Istanbul et enfin les fameuses pyramides du Caire. Cette excursion des plus instructives est un fabuleux prétexte à redécouvrir les richesses de notre culture occidentale et, de ce fait, à nous interroger sur le sens premier de nos lointaines origines. Manoel de Oliveira, qui avait librement adapté Madame Bovary de Flaubert dans son Portugal natal (Val Abraham), se refuse à tout ethnocentrisme. Chacun, quelle que soit son origine ou sa religion, échange, apporte de son savoir, de sa culture, et contribue, ainsi, au magnifique édifice qu’est la mémoire collective. Si le sujet peut paraître difficile à aborder et, surtout, à transposer à l’écran, le réalisateur ne fait pas preuve de snobisme intellectuel envers le spectateur. Il n’oublie pas, à travers l’utilisation du personnage de l’enfant, que les questions les plus évidentes sont souvent les plus importantes.
Au cours de ce voyage, Rosa Maria sera invitée à la table du commandant de bord où trois femmes de renommée discutent de leur histoire individuelle, de leurs choix de vie, des enfants qu’elles n’ont pas eus, parfois à regret. L’échange personnel et culturel devient de plus en plus passionnant, et flirte avec le surréalisme. Comme le remarque la femme française (Catherine Deneuve), chacun y parle dans sa langue natale sans éprouver la moindre difficulté à se faire comprendre. Le portugais, l’italien, le français et le grec participent à cette « intercommunication polyglotte ». Le commandant, dont l’anglais maternel semble banni, s’étonne que le grec ne soit pas devenu la langue internationale, puisqu’à l’origine d’un bon nombre de langues latines recouvrant une grande partie de la planète. Peu à peu, même si tous ces passionnants échanges resteront vains, même s’ils ne nous mèneront qu’à l’absurde sens de l’existence, le titre de l’œuvre s’éclaire peu à peu : un film parlé ? Effectivement, le cinéma ne fait que cela, semble-t-il, parlant depuis 1927. Et pourtant, il ne s’agit pas ici que d’un parlant, mais d’un film parlé, d’une œuvre qui revient aux sources du langage, une sorte de conte qui s’écoute et qui nous confine dans l’émerveillement le plus pur. Seule réserve : la culture et le savoir n’appartiennent ici qu’aux riches.