Trois films de jeunesse de Roman Polanski ressortent ces jours-ci en DVD au sein d’un même coffret, regroupant Le Couteau dans l’eau, Répulsion et Cul-de-sac, le tout agrémenté de suppléments pertinents.
La ressortie au sein d’un même coffret de ces trois films de Polanski n’a en soi rien d’événementiel, chacun étant jusqu’à présent disponible à l’unité dans des éditions bon marché trouvables sur les sites de e‑commerce. Le choix de les avoir associés est cependant intéressant. Il s’agit en effet des trois premiers longs-métrages du cinéaste (après quelques courts, regroupés par ailleurs dans la collection des « Introuvables » de l’éditeur Wild Side, ou parmi les bonus du DVD américain du Couteau dans l’eau – Knife in the Water – chez Criterion), tous tournés dans sa période européenne, avant Hollywood et la commande de Rosemary’s Baby, tous les trois en noir et blanc, trait commun des films de Polanski jusqu’à sa parodie des films de la Hammer, Le Bal des vampires.
Autre trait commun de ces films, l’accueil exceptionnel qui leur fut réservé dans les festivals ont ils furent montrés en compétition : Le Couteau dans l’eau repart du festival de Venise avec le prix de la critique en poche, et connaît un joli succès aux États-Unis, où il est récompensé au festival de New York en 1963, année à laquelle il se verra également nommer pour l’Oscar du meilleur film étranger. Le festival de Berlin consacrera définitivement Polanski en 1965 et 1966, avec un Ours d’argent pour Répulsion dans un premier temps, et enfin l’Ours d’or pour Cul-de-sac. Ses « diplômes » en poche, Polanski pourrait alors faire à peu près tout ce qu’il voulait, et était en bonne place sur la liste des réalisateurs étrangers qu’Hollywood n’allait pas tarder à convoiter.
Les suppléments contenus sur les DVD retracent le début de la carrière de Polanski, notamment à travers le documentaire Un billet pour l’Ouest, où, interviewé, il évoque sa scolarité au sein de l’école de cinéma de Lodz, et sa rencontre avec le compositeur Krzysztof Komeda, musicien attitré des films de sa période européenne, à l’exception de Répulsion, et qui le suivra aux États-Unis dans l’aventure Rosemary’s Baby, pour lequel il composera la désormais classique « lullaby ». Cette complicité musicale entre un réalisateur et un compositeur (Polanski admet ne jamais avoir donné d’indications ou de directions à Komeda, celui-ci sentant parfaitement la musique qui allait coller aux images) est à ranger aux côtés d’autres plus célèbres telles que l’association de John Milius et Basil Poledouris ou Fellini et Nino Rota, qui tous firent leurs premières armes ensemble, la complicité dépassant alors le domaine artistique.
Bien que reparti bredouille, la seule nomination du Couteau dans l’eau aux Oscars (c’est finalement Fellini avec son 8 ½ qui reçut le trophée) a tout de même permis d’ouvrir une brèche au cinéma polonais, dont d’autres réalisateurs allaient pouvoir profiter, comme Kieslowski ou Zanussi. Paradoxalement, les films suivants de Polanski porteront en revanche la nationalité britannique, et auront des castings internationaux, avec en tête d’affiche des stars françaises (les deux sœurs « jumelles » Catherine Deneuve pour Répulsion et Françoise Dorléac pour Cul-de-sac) et anglo-saxonnes, tels que Donald Pleasance ou Lionel Stander. Ils auront aussi comme point commun d’être tous co-signés avec Gérard Brach, qui faisait alors lui aussi ses débuts en tant que scénariste.
Côté suppléments, le DVD de Répulsion comporte un commentaire audio du film par Roman Polanski et Catherine Deneuve, exercice qui permettra toujours aux cinéphiles de glaner quelques informations (par exemple, on y apprend que la réalisation du générique du film – un gros plan sur un œil – a été laissée aux soins de Maurice Binder, par ailleurs créateur des célébrissimes génériques d’ouverture des James Bond). On y trouve également une interview audio d’un professeur en neuropsychologie, Richard L. Gregory, auteur du livre de chevet de Polanski à l’époque, L’Œil et le cerveau, basé sur la perception, thématique cinématographique polanskienne au cœur même de Répulsion. Enfin, un documentaire de vingt-cinq minutes intitulé Répulsion, un film d’horreur britannique, revient sur la manière dont s’est fait le film. Polanski y confie son idée de base, qui était de prendre un film d’horreur traditionnel, et de l’élever au rang de thriller psychologique. On peut imaginer que sa récente nomination aux Oscars aurait pu lui faciliter la tâche quant au financement du film. Il n’en a étrangement rien été, et c’est finalement une boîte spécialisée dans l’exploitation de films érotiques à petits budgets, Compton, qui a produit Répulsion, misant sur la popularité naissante du cinéaste polonais pour se payer une respectabilité à faible coût.
Après les avoir filmés sur un yacht, puis dans un grand appartement londonien, Polanski offre aux personnages de son film suivant, un couple de bourgeois excentriques, le décor d’une île, sur laquelle vont débarquer deux gangsters en cavale. Le bien nommé Deux gangsters et une île, troisième volet de la série de documentaires présente dans ce coffret, d’une durée approximative d’une demi-heure comme les précédents, revient notamment sur ce lieu de tournage bien particulier que fut l’île de Lindisfarne, aussi appelée Holy Island, sorte de mont Saint-Michel anglais, accessible depuis le continent quand la marée basse le permet, soit deux fois par jour.
Richement documentée, c’est finalement dans ses spécificités techniques que réside la faiblesse de cette édition, qui ne propose les films que dans des masters usés, le tout avec un son mono, d’origine certes, mais pour lequel une restauration n’aurait pas été superflue. Enfin, à quand une sortie DVD d’un véritable inédit de Polanski cette fois, son film de 1972 Ché ? (Quoi ? en français), sorte de Cul-de-sac en couleur et cinémascope, mâtiné d’Alice au pays des merveilles, et toujours introuvable toutes zones confondues, ce qui au vu de la qualité du film en question, relève du doux mystère ?