Fort de ses nombreux Oscars au titre du meilleur film étranger à la fin des années 1940, c’est en toute logique que Vittorio De Sica est invité par Hollywood à se fondre dans le système des Studios. Station Terminus, sorti en 1953, est l’unique fruit né de cette rencontre. Déjà édité en DVD en 2007, le film est aujourd’hui proposé dans une version inédite raccourcie (à l’occasion de sa sortie américaine) par l’éditeur Wild Side dans le cadre de sa collection « Vintage Classics ».
Si Hollywood a toujours nourri une attention particulière pour le cinéma italien des années 1940 aux années 1970, ses figures de proue sont toujours plus ou moins restées perméables aux sirènes de l’industrie américaine, laissant tout au plus quelques actrices nationales s’exiler pour glaner un Oscar au passage (Anna Magnani, Sophia Loren, etc.). Dans le cas de Roberto Rossellini, l’un des pères du néoréalisme, c’est même Hollywood qui est venu à lui en la personne d’Ingrid Bergman, plaquant tout (carrière et famille) pour tenter l’aventure sur l’île-volcan de Stromboli. Vittorio De Sica, fort de sa reconnaissance de l’autre côté de l’Atlantique (Sciuscià et Le Voleur de bicyclette ont tous deux remporté l’Oscar du meilleur film étranger) est invité par Selznick pour réaliser son premier long-métrage aux accents néoréalistes avec des acteurs américains. Soutenu par la crème d’Hollywood, Vittorio De Sica s’adjoint donc les services de Truman Capote (aux dialogues) et du duo Montgomery Clift/Jennifer Jones pour mettre en scène cette histoire d’amour contrariée sur un canevas relativement proche de Brève rencontre de David Lean (1945) : un homme et une femme vivent une passion adultère et partagent leurs derniers moments dans une gare ferroviaire où une somme d’événements vient contrarier leur intimité.
Étrange film un brin schizophrène, Station Terminus n’est pas plus une œuvre italienne (il en portera pourtant l’étendard lors de sa présentation à Cannes) qu’un pur produit d’Hollywood. Tourné en décors extérieurs, mêlant acteurs professionnels et figurants choisis au hasard, le projet s’inscrit dans une certaine tradition du néoréalisme, s’affranchissant par endroits des lourdes contraintes stylistiques imposées par le système des Studios. Pourtant, faisant fi de tout réalisme (Montgomery Clift censé jouer un Italien mais qui converse avec ses concitoyens dans un anglais très maîtrisé), Station Terminus, dans sa version courte de 1h07, adopte scrupuleusement les codes des productions qui ont fait la gloire de Selznick : sophistication du jeu de Jennifer Jones (au passage, épouse du producteur), mouvements de caméra et montage stylisés contribuent à nous placer en terrain connu d’une production hollywoodienne qui obéit à ses propres codes. Le puritanisme qui plane au-dessus du film (les deux amants sont suspectés par la police d’avoir fait l’amour dans un wagon à l’arrêt) éloigne encore un peu plus Station Terminus de son pays d’origine.
Peut-être que ce sont ces limites qui ont conduit le réalisateur à ne pas renouveler l’expérience américaine (il réalise dès l’année suivante L’Or de Naples dans le cadre d’une production totalement italienne). Néanmoins, le film n’en est pas moins intéressant dans la mesure où Station Terminus est l’étrange synthèse de deux écoles esthétiques, portant en lui deux mouvements, deux manières de penser le cinéma qui pourraient sonner comme contradictoires. Pourtant, quelque chose passe indéniablement à l’écran, une tension nourrie par la méconnaissance que nous avons des personnages : qu’ont-ils vécu et partagé ? Que fait la jeune femme en Italie loin de son mari ? Autant d’éléments qui pourraient cadrer l’histoire (dans son sens classique) et qui, ici, font défaut, laissant cours à toutes les interprétations, amplifiant chaque flottement et l’effet produit par les nombreuses phrases suspendues. C’est ce qui fait le beau prix de Station Terminus, film mineur dans la filmographie de Vittorio De Sica mais qui ne passe pas inaperçu dans sa spécificité.