La sortie simultanée de deux films de Tsui Hark chez HK Vidéo permet de cerner un peu mieux le cinéaste hong-kongais. Capable du meilleur avec The Lovers, que beaucoup considèrent comme son chef-d’œuvre, celui-ci est également capable du pire, avec Dans la nuit des temps, film brouillon et incompréhensible tourné dans la foulée. Deux films qui à eux deux résument plutôt bien l’ensemble d’une carrière en dents de scie.
Ce n’est pas un hasard du calendrier qui a fait sortir HK Vidéo le même jour The Lovers et Dans la nuit des temps. Les deux films sont en effet intimement liés : réalisés à un an d’intervalle, les deux mêmes acteurs principaux y trouvent à nouveau les rôles de deux amoureux. Notons que précédemment, ces deux films étaient réunis au sein d’un même coffret.
The Lovers s’inspire d’un classique de la culture chinoise, l’histoire des Amants papillons, qui correspond à un Roméo et Juliette oriental, et qui fut déclinée dans de nombreux opéras, ainsi que dans un film datant de 1963 produit par la Shaw Brothers, Eternal Love.
Situé en l’an 3 de la dynastie Jin orientale, le film raconte la rencontre entre Ying-Tai, une jeune fille que ses riches parents ont envoyée dans une école réservée aux garçons afin de parfaire son éducation, et Shan-Po, un jeune étudiant modeste. Des affinités se nouent entre eux, et lorsque Ying-Tai avoue à Shan-Po qu’elle est en réalité une fille, les deux adolescents se promettent alors mutuellement de se marier un jour. Malheureusement, les parents de la jeune fille ont d’autres projets pour elle, et décideront de la marier de force au fils d’un notable. Ainsi séparés par ce mariage d’intérêt, les deux amants vont sombrer dans la mélancolie la plus profonde et la plus destructrice. Shan-Po et Ying-Tai mourront donc respectivement de chagrin, unis à jamais dans la mort.
Le ton de la première moitié du film, située dans l’école, est léger et enjoué. Le couple de comédiens (Nicky Wu et Charlie Young, qu’on retrouvera plus tard dans Les Cendres du temps et Les Anges déchus de Wong Kar-wai) fonctionne à merveille et fait preuve d’une belle complicité, dans cette histoire d’amour qui est aussi une grande histoire d’amitié. La seconde partie en revanche est digne des plus grandes tragédies. Tsui Hark rend hommage aux opéras d’antan, en livrant un film très musical, contenant pas moins de quatre morceaux chantés, illustrant les pensées intérieures des personnages ou commentant l’histoire.
En guise de supplément, on trouve la bande annonce originale du film, ainsi que celles d’autres titres du catalogue HK Vidéo, le tout accompagné d’un livret de 60 pages richement illustré.
Un an plus tard, on retrouvera ces deux mêmes acteurs dans le film suivant de Tsui Hark, Dans la nuit des temps. Situé à l’époque de l’arrivée de l’électricité en Chine, le film débute lors du Jour des affinités, fête idéale pour trouver l’âme sœur. Cette fois, Charlie Young incarne Yan-Yan, la fille du directeur d’un théâtre, et Nicky Wu un jeune employé de banque plutôt gauche nommé Kong, qui va se faire arnaquer puis tuer par le caïd local. Son âme, prisonnière du câble électrique qui a servi à l’étrangler, sera libérée par Yan-Yan, ledit câble étant relié à l’installation électrique du théâtre. Kong persuadera Yan-Yan de l’accompagner dans le passé afin de changer le cours des événements. Les aventures qu’ils vivront les rapprocheront, et les jeunes gens tomberont logiquement amoureux.
Disons-le tout de suite, en dehors de son casting, Dans la nuit des temps n’a quasiment rien en commun avec The Lovers. Il n’en a pas la richesse visuelle ou musicale, et l’histoire qu’il raconte est loin d’être aussi simple et efficace. Les différents voyages dans le temps que vont faire nos héros ne feront qu’embrouiller un peu plus l’histoire, et on se retrouve assez vite perdu et sans repères, sensation assez déplaisante s’il en est.
Quant au ton du film, il est donné dès les premières secondes : l’ouverture est une parodie du générique des Looney Tunes, donnant ainsi immédiatement un aspect cartoonesque au film, dont l’humour puéril et lourdingue, associé à des effets spéciaux d’une pauvreté affligeante, rend celui-ci franchement indigeste.
Si Dans la nuit des temps contient toutefois de bons moments (il y a notamment ce monde parallèle dans lequel se retrouvent nos héros, où le temps semble suspendu, et cette idée que leurs âmes sont prisonnières des câbles électriques), il repose sur un scénario bien trop faible pour nous séduire.
La sortie conjointe de ces deux films illustre bien l’inconstance de Tsui Hark, cinéaste capable du meilleur comme du pire. L’avenir et la suite de sa carrière viendront confirmer cette impression. Le récent Legend of Zu par exemple renferme lui aussi en son sein ces deux facettes du cinéaste : une partie très réussie, sur une histoire d’amour qui traverse les siècles, et une partie de film d’action, encore une fois filmée de manière brouillonne, avec effets spéciaux décevants, coexistent au sein d’une œuvre malgré tout attachante.
C’est probablement la raison pour laquelle The Lovers, film beaucoup plus posé, qui fait preuve d’une grande maturité dans la façon de raconter une histoire universelle, celle d’un homme et d’une femme, et de l’amour impossible qui les lie, et qui fait la part belle aux penchants mélancoliques de Tsui Hark, constitue aux yeux des cinéphiles son véritable chef-d’œuvre.