Tsui Hark, metteur en scène-scénariste-producteur-etc. à l’enthousiasme intarissable, voit sa production relayée en France en vertu de sa présence centrale dans l’explosion du cinéma de genre HK dans les années 1980 (pour laquelle on peut largement remercier Christophe Gans, nos confrères Starfix et Mad Movies). Avec les grandioses Zu, les guerriers de la montagne magique, Histoires de fantômes chinois (pour lesquelles on peut légitimement le soupçonner d’avoir damé le pion au réalisateur officiel, Ching Siu-tung), Il était une fois en Chine, etc., Tsui Hark a construit chez nous une image de cinéaste fou furieux, à l’esthétique foisonnante, à l’imaginaire formel brillant, ne se laissant arrêter par aucune contingence matérielle ou formelle…
Seulement, on oublie que seule la partie émergée de l’iceberg nous est parvenue : l’œuvre du bonhomme est bien plus vaste… et parfois bien moins accessible au public occidental non averti. Là, dans ces Heroic Trio ou Legend of Zu, on découvre un univers encore plus frappadingue, créatif, faisant fi de la moindre vraisemblance, du plus élémentaire bon goût – tel que nous le concevons dans nos contrées, en tout cas, car Tsui Hark est l’héritier d’une tradition narrative populaire forte. Disons-le : tant que la technique cinématographique le lui autorise, rien n’arrête Tsui Hark – on a pu le constater dans le récent Détective Dee II : La Légende du dragon des mers, qui mélange avec un bonheur étonnant une animation informatique 3D parfois à la limite de l’amateurisme et une science sûre du serial à la chinoise, lorsque l’on suit les pas du Sherlock Holmes de l’Empire du milieu.
Gare à l’indigestion
Et parfois, la sauce ne prend pas aussi bien : témoin cette Bataille de la Montagne du Tigre, retraçant les faits d’une unité militaire d’élite d’une poignée d’hommes faisant face à une troupe de bandits profitant du chaos laissé par le départ des Japonais, lors de la guerre qui les opposa à la Chine en 1946. Étrangement hétérogène, le récit se scinde en trois parties presque totalement distinctes : l’arrivée de l’unité chinoise sur les lieux de la confrontation, l’infiltration du camp des bandits et l’assaut sur leur forteresse, ancienne fortification japonaise. Nous avons donc un film de guerre, un d’espionnage et… un film d’action, disons, même si le foisonnement du finale le projette plus vers les super-héros – comme le détective Dee, d’ailleurs, dans ses aventures de l’année dernière.
Toujours prompt à céder à un sentimentalisme très premier degré, Tsui Hark alourdit son récit de romances dispensables, d’histoires d’enfants aux parents disparus qui, le film durant, agacent, et brisent le rythme – c’est pourtant là une autre des marques distinctives du réalisateur, comme on avait pu le voir dans Le Syndicat du crime III, par exemple. Avec une différence notable : Tsui Hark place, dès ses premières images, le film sous le signe de la nostalgie, par l’entremise d’un personnage de narrateur venu de notre époque, qui se languit à la fois du cinéma de genre de répertoire, où l’on retrouve la naïveté enthousiaste qui pénètre son univers. Et nostalgie pour une génération sacrifiée : celles des héros martiaux qui protégèrent la Chine de l’invasion japonaise, sorte de garants de l’identité et de la liberté du peuple – ce qui n’est pas sans rappeler ce que symbolisait Wong Fei-hong dans les Il était une fois en Chine : une âme chinoise fort malmenée, mais qui ne se laissera pas conquérir.
Tsui Hark fait feu de tout bois dès qu’on lui met un nouveau jouet entre les mains : déjà, lorsqu’il s’agit pour lui de faire dans le serial débridé, on lui pardonne aisément ses outrances. Mais, lorsque transparaît cette nostalgie qui pénètre certaines de ses œuvres, on ne peut que saluer combien, malgré l’explosion d’action et de pyrotechnie délirante qui souligne son amour pour la série B, c’est elle qui prend le pas sur tout le reste – si bien qu’on reste, à la fin de La Bataille de la Montagne du Tigre, plus touché par sa tendre et maladroite humanité que par ses débordements graphiques.