Sans doute peu réceptif à nos réserves sur son usage de la 3D et de l’image de synthèse dans Détective Dee II : La Légende du dragon des mers, Tsui Hark enfonce le clou dans ce film qui en est la suite (ainsi qu’un nouveau prélude au Mystère de la flamme fantôme), en accentuant les collisions entre la matière réelle et celle générée par ordinateur.
L’argument scénaristique est cette fois un franc prétexte à cet envahissement de l’artifice visuel : le super-enquêteur de la Chine impériale affronte des conspirateurs dotés de redoutables pouvoirs d’illusion, au point qu’une première équipe d’assassins doués dans ce domaine ne s’avère qu’un paravent pour un groupuscule de maîtres de la discipline. C’est dès lors avec une certaine légitimité que l’usage de la 3D culmine dans des luttes titanesques par interpénétration entre formes réelles et virtuelles, où des créations fantasmagoriques viennent littéralement submerger les corps des acteurs, lesquels n’ont pour toute parade que de désarticuler ces images en plongeant en elles pour atteindre ce qui les sous-tend (source physique ou psychique). Mais Tsui Hark, dans sa générosité coutumière, ne s’arrête pas à cette logique, usant notamment de l’image de synthèse pour adjoindre au récit au moins un élément surnaturel : un gorille géant, objet d’effets de mise en scène plus énergiques qu’inspirés (tels qu’un zoom arrière passant d’un gros plan sur le dos de la bête à un plan large la montrant en entier). En somme, le cinéaste enthousiaste continue d’expérimenter à tout berzingue autour de la présence du volume, fût-ce au mépris de la perfection technique et du bon goût esthétique, avec cependant quelques intéressantes intuitions – comme ce plan d’ouverture où un objet tridimensionnel, au lieu d’être (comme souvent dans les films en 3D) un projectile traversant le cadre, en occupe le centre, suivi par la caméra tandis qu’il se dirige vers un personnage. D’où une tenue proche de celle de l’épisode précédent : un récit un peu décousu où seules priment la révélation et la démonstration des apparitions chimériques, et un mélange curieux d’initiatives formelles plus ou moins probantes, de vivacité toujours intacte du découpage quand il s’agit de mettre en scène la matière physique (acteurs, décors, tout simplement l’espace) et de menace de balourdise dès que la matière numérique entre dans le champ.
De telles collisions du brio et de l’approximation ne sont pas nouvelles chez Tsui Hark, disséminées au milieu des plus éclatantes réussites de sa filmographie, et l’on est a priori tenté d’être indulgent envers ce tâtonnement, pourvu que le brio maintienne le récit en ébullition, ici en s’appuyant sur une logique de serial (ce que réussissait Détective Dee II). Or face à ce troisième épisode, une déception demeure. C’est qu’au regard de l’inaugural Mystère de la flamme fantôme (brillant, quoique rebattant un peu les cartes du cinéma de son auteur), ce n’est pas seulement la maestria qui s’est émoussée, mais aussi une certaine impertinence. L’humour incongru dont est capable Tsui Hark manque ici de ses traits les plus facétieux et stimulants (comme, dans Détective Dee II, la vision d’un dragon marin gobant un cheval), mais c’est surtout la figure du héros initialement dépeint – l’enquêteur indépendant devant composer bon gré mal gré avec la coercition du pouvoir – qui semble avoir pris un coup. Le présent épisode se montre d’autant plus décevant sur ce point qu’il se présente comme un prélude directement connecté au Mystère de la flamme fantôme, notamment en ce qu’il est censé poser les bases de la relation entre le juge Dee et l’impératrice Wu Zetian (à laquelle il fait face dans les trois films), entre le frondeur épris de vérité et la dépositaire bornée du pouvoir absolu, dont le premier épisode jouait subtilement. Or cet aspect souffre du caractère décousu d’un récit qui, après l’avoir posé d’entrée de jeu (la souveraine complote pour démettre le juge de ses attributions), le relègue graduellement en sous-intrigue prétexte et suivie comme en pointillés, au point que le personnage de l’impératrice paraît même escamoté dans les moments où cette relation pourrait devenir un réel enjeu. Seule en subsiste une cocasse scène de séduction factice suggérant grossièrement un désir sous-jacent entre les deux personnages. Par ailleurs, un flash-back court mais répété, montrant des tortures infligées par des bourreaux impériaux sur des victimes appelés à devenir les antagonistes de ce film, fait signe que Tsui Hark n’a pas totalement renoncé à une certaine critique du pouvoir, tandis qu’il assure la primauté du spectaculaire avec une inspiration inégale. Cela reste trop peu pour ne pas ressentir une certaine amertume : la mise en berne des espoirs suscités par cette saga entre les mains d’un cinéaste toujours sympathique, mais quelque peu inconstant dans ses résultats.