Après une décevante parenthèse américaine (deux gentils navets avec Van Damme) et quelques cuisants échecs commerciaux (Seven Swords, cruellement amputé au montage), l’inégal mais souvent génial Tsui Hark cherche visiblement à regagner les faveurs du public avec ce Détective Dee, présenté en compétition officielle à la dernière Mostra de Venise. Il offre donc ce qu’on attend de lui : un wu xia pian (film de sabre chinois) romanesque et spectaculaire. On peine cependant à s’enflammer, tant l’art du réalisateur hongkongais, autrefois d’une incandescente virtuosité, apparaît aujourd’hui singulièrement éteint, étouffé par le décorum.
En 690, Wu Zetian s’apprête à devenir la première impératrice de l’histoire de la Chine. Le couronnement de cette femme dure et impopulaire ne pourra avoir lieu qu’après l’achèvement de la colossale statue de Bouddha qui surplombe la capitale, Luoyang. Mais une série de meurtres aussi terrifiants qu’inexplicables jettent le trouble et retardent l’avancement du chantier : les victimes prennent mystérieusement feu, et se consument en quelques secondes… Pressentant un complot visant à l’empêcher de monter sur le trône, Wu libère un ancien opposant, le juge Dee Renjie, et le charge de mener l’enquête.
Tout comme l’impératrice Wu, passionnante figure de l’histoire chinoise, le juge Dee (ou Di, ou Ti) a réellement existé. Cet administrateur réputé pour son honnêteté et ses talents de déduction a été popularisé en Occident par les romans policiers du diplomate hollandais Robert Van Gulik. Tsui Hark et son scénariste en ont fait une sorte de Sherlock Holmes rompu aux arts martiaux et aux prises avec une intrigue teintée d’occultisme – une curieuse hybridation qui rappelle une récente superproduction hollywoodienne…
Le rapprochement n’est pas innocent, tant ces deux cinématographies, l’américaine et l’asiatique, rivalisent et se vampirisent mutuellement depuis plusieurs décennies. Victime de cette autodestructrice logique de surenchère, le dernier film de Tsui Hark ploie sous une exubérance visuelle qui peut donner le vertige : il n’y a pas un décor qui ne soit monumental, pas une séquence qui ne soit surdécoupée, pas un plan qui ne soit saturé de couleurs et d’informations. Quand elle tombe, la pluie est forcément torrentielle, et chaque éclair semble annoncer la fin du monde. Cette profusion d’effets grandiloquents alourdit considérablement Détective Dee, qui aurait gagné à s’en délester pour retrouver la grâce aérienne de la série des Il était une fois en Chine, ou la crudité du méconnu The Blade. D’autant que cet univers très (trop) bariolé se révèle étonnamment laid. Le budget du film, relativement faible (13 millions de dollars, soit le dixième d’un demi-Harry Potter) peut excuser la faiblesse des images de synthèse ; il n’empêche que les plans aériens sur la capitale, qui évoquent un vieux jeu vidéo, font mal aux yeux. Sans parler d’un combat absolument catastrophique mettant en scène des daims numériques (si, si).
Si Détective Dee reste toutefois plus intéressant et digeste que les fresques décoratives et empesées de Zhang Yimou, dont il se rapproche dangereusement, c’est grâce à la frénésie cinétique qui caractérise le cinéma de Tsui Hark, et qu’on retrouve ici par bribes, le temps de quelques savoureux morceaux de bravoure : la maison criblée de flèches empoisonnées, le combat sur les rondins… Ce qui différencie également ce Détective Dee d’un Hero ou d’une Cité interdite, c’est l’humour, à la fois discret et omniprésent, l’ambiguïté morale de la totalité des personnages (y compris Dee), et le sous-texte politique, discrètement subversif. La description d’un régime qui se targue d’être juste mais ne peut se maintenir que par la terreur renvoie bien sûr à la Chine contemporaine – et il est sans doute courageux, y compris depuis une « région administrative spéciale » toujours relativement autonome, de mettre en scène un pouvoir contraint de faire appel à ses propres dissidents pour éviter de s’effondrer sous le poids des complots et des révolutions…
Hélas, cette intrigue politique n’est qu’esquissée, sacrifiée, avec l’émotion, au profit d’une énigme fantastico-policière qui accumule les rebondissements absurdes et dont la résolution n’a pas grande importance. Ne reste donc qu’à espérer que le prochain film de Tsui Hark saura retrouver le tranchant de ses œuvres des années 1990.