À quoi tient la faillite d’un système esthétique qui a jadis fait preuve de sa toute brillance ? Quatre ans après son ébouriffant Le Mystère de la flamme fantôme, Tsui Hark donne une suite (ou plutôt un prélude) aux aventures de Dee, sorte de Sherlock Holmes chinois qui excelle à la fois par son sens de la déduction et sa connaissance des arts martiaux, exercée au cours de combats opératiques dans la grande tradition du cinéma d’action hongkongais. Cette fois-ci, Mark Chao remplace Andy Lau dans ce nouveau volet concocté à partir des mêmes ingrédients : mystère et conspiration, paranoïa et magie noire, au sein d’un programme de mise en scène tout entier dédié au motif de la contamination (de l’élite chinoise, gangrenée par espions et sociétés secrètes, et contamination des corps par des parasites monstrueux). Et pourtant, quand bien même Tsui Hark semble rejouer la même partition, entre faste d’une reconstitution aux accents légèrement bis (les images de synthèses, toujours aussi cheap) et profusion d’affrontements chorégraphiés, il n’y a guère de doute que la maestria qui nous avait tant séduit il y a de cela trois ans s’est bizarrement estompée, ou du moins a vacillé à la faveur de légers glissements formels. Immédiatement, un suspect évident s’affirme comme l’agent moteur de cet empoisonnement d’une forme auparavant si vivante : les dites images de synthèses, justement, cantonnées jusqu’ici pour la plupart aux plans d’exposition, s’invitent désormais davantage au cœur de l’action et donnent forme aux projectiles, métalliques et organiques, qui ne cessent d’envahir l’écran. Mais ce ne sont pas tant les limites intrinsèques de la technique qui interpellent, que l’enchâssement de mauvais choix qu’il convient de décortiquer. Nous évoquions une abondance de projectiles de toutes sortes. Tsui Hark axe en effet ici plus ouvertement sa mise en scène sur un principe de surgissement et de plongée (aussi bien sur terre que dans les scènes de batailles navales, où l’océan est un théâtre idéal pour ce jeu de volumes), d’où le recours logique à la 3D, qui se prête parfaitement au programme formel du film. Toutefois, si l’outil tridimensionnel semble être convoqué à bon escient, il présente néanmoins un double inconvénient qui ne cesse de tirer le film vers le bas.
De la substance à la masse
Une scène, située dans le dernier tiers du film, synthétise les écueils des choix esthétiques entrepris. Alors que le détective s’apprête à voguer vers la tanière de ses ennemis, le regard du personnage est attiré par l’océan qui se dresse sous ses pieds. Le contrechamp nous montre alors une mer digitale, dont l’écume factice s’écrase sur la coque du navire, tout aussi toc. Surtout, la 3D qui d’ordinaire permet de donner sa pleine mesure à la substance (des ombres au volume, en passant par les particules – aspérités, grains, gouttes, etc.) met ici en exergue le caractère sommaire de la matière aqueuse, masse uniforme et, triste paradoxe, sans relief. Toute 3D non-accessoire décuple la perspective et la matière, mais aussi les défauts inhérents de l’image contemplée, et il est dès lors incompréhensible que Tsui Hark se soit à ce point fourvoyé en multipliant des effets spéciaux offrant trop peu de détails visuels, là où dans le premier volet seules quelques visions terriblement ambitieuses mais hélas guère soutenues par un budget en adéquation nécessitaient le maniement de tels outils techniques. La 3D oblige de surcroît à une reconfiguration de la logistique du tournage des scènes d’actions, et là encore, les insuffisances techniques du film parasitent le projet esthétique. Si le découpage de Tsui Hark fait toujours preuve d’un certain brio, la lourdeur des caméras 3D conduit à un amoindrissement des mouvements qui, au lieu d’accompagner jusqu’au bout les actions des personnages, semblent au contraire endiguer leur aptitude à se mouvoir dans l’espace. Les corps sont plus lourds, moins virevoltants, et à l’inverse du précédent film, d’une légèreté impressionnante, la pesanteur reprend ses droits. Bien que cette mutation ne soit pas fatalement synonyme de régression (la pesanteur est après tout un enjeu formel majeur du blockbuster moderne, de Pacific Rim à Gravity, en passant par Man of Steel), on ne peut que regretter que Détective Dee 2 sacrifie cette dimension aérienne dévouée à la fluidité et l’envol, en confondant matière et masse, et substance et poids.