Ces deux films n’ont pas seulement en commun de participer à la nouvelle fournée des fantastiques sorties RKO des éditions Montparnasse. Ce sont des polars, certes, mais d’un genre très particulier : oubliés les Philip Marlowe, Sam Spade, leurs femmes fatales et leurs vilains gangsters. Voici deux œuvres, certes mineures, qui s’amusent au mélange des genres et ont au moins le mérite d’avoir aidé deux futurs maîtres à se perfectionner : Robert Wise, et surtout Anthony Mann. Le cinéphile-qui-croit-avoir-déjà-tout-vu se délectera d’être détrompé.
On le sait : il y a un avant et un après Howard Hughes pour les studios RKO. Le avant, ce sont Fred Astaire et Ginger Rogers, quelques screwball comedies, Citizen Kane… Puis l’excentrique milliardaire rachète la compagnie pour le plaisir de contempler de jolies starlettes et la coule une dizaine d’années plus tard. Auparavant, il a tout de même laissé le champ libre à quelques perles, et permis l’éclosion des polars de série B, trop vite rangés au placard des films qui ne méritent pas qu’on s’en souvienne. Enfin, comme ici avec Two O’Clock Courage et Mystère à Mexico, il s’est même fendu de « découvrir » quelques réalisateurs qui finiront par laisser leur trace dans l’histoire du cinéma, que ce soit dans la comédie musicale (Wise) ou le western (Anthony Mann).
Une série B, késako ? Techniquement, un film qui ne bénéficie pas des mêmes budgets de production qu’une série A. Parfois, un film réalisé et produit à toute vitesse pour remplir les salles. Il faut concurrencer la télévision qui prend son essor en offrant un choix plus large. La quantité cède-t-elle à la qualité ? Certes, les producteurs (surtout Howard Hughes) sont moins regardants, et les réalisateurs pensent peut-être plus à leur chèque de fin de mois qu’à contenter la critique intellectuelle. Les films sont plus courts (1h10 en moyenne), les scénarios saugrenus, les acteurs pas tout à fait à leur place. Et pourtant, la série B offre un vrai plaisir au cinéphile, une sorte de cocktail de légèreté et de simplicité, un mélange des genres que n’oserait pas forcément un cinéaste reconnu, une vraie liberté créative que n’autorisaient plus les grosses productions depuis l’avènement du parlant. En quelque sorte, un retour aux sources du cinéma comme divertissement populaire.
On exagère ? Non. Il y a pléthore de séries B plan-plan, dont le scénario est si mince qu’on peut à peine trouver à le filmer qu’en plan fixe, la caméra posée devant les acteurs, qui semblent retenir un bâillement : personne n’y croit, nous non plus. Et puis, il y a Mystère à Mexico, où un détective masqué séduit une jeune chanteuse dans un vol pour Mexico, rencontre des voleurs de bijoux, manque de se faire tuer (avec la chanteuse) mais tout est bien qui finit bien. Le bijou est si laid qu’on comprenne à peine qu’on veuille le voler, le détective est si peu séduisant qu’on imagine bien les réticences de la chanteuse, et pourtant, on se laisse accrocher au suspense et à ce mystère peu mystérieux : lequel de ces Mexicains est le méchant de l’histoire ? Ces filous d’Américains les rendront-ils tous vilains parce qu’ils parlent anglais avec un mauvais accent ? La chanteuse parviendra-t-elle à montrer à son détective qu’elle a beau ne pas être une femme fatale, elle n’en reste pas moins plus qu’un objet sexuel ? Tout cela est bien rythmé, joli dans ses fausses tentatives de réalisme, bref on ne s’ennuie pas une seconde.
Mais il faut quand même avouer une petite préférence pour Two O’Clock Courage, pour le coup vraiment loufoque. Le film noir dure à peine deux minutes, le temps d’un coup de feu dans la nuit. Puis le héros rencontre une jeune chauffeur de taxi (merveilleuse Ann Rutherford) et nous voilà embarqués dans une comédie complètement absurde. Ted est amnésique, mais dégouline de sang et se rend compte très rapidement qu’il est le principal suspect d’un meurtre. Suivie par la taxiwoman survoltée (qui ne le lâche pas d’une semelle sans qu’on sache trop bien pourquoi), il va mener sa propre enquête pour savoir s’il doit se dénoncer ou non à la police (sic). On se fiche de connaître le nom du coupable (pour être honnête, on ne se souvient plus trop de qui il s’agit), mais on s’amuse beaucoup : Anthony Mann réussit même à donner ici et là des relents hawksiens à son œuvre. C’est dire qu’il ne s’agit pas tout à fait d’une série B lambda…
Le cinéma américain n’est jamais aussi plaisant que lorsqu’il se moque de lui-même. S’il a créé des genres, il est tout aussi capable de les dynamiter. Certes Mystère à Mexico et Two O’Clock Courage ont la facture du film noir (enquêtes, meurtres, décors nocturnes, personnages ambigus, retournements de situation), mais ils ont tout autant l’esprit de la screwball comedy. Le happy ending est presque donné d’office, le véritable suspense importe peu : seuls comptent le divertissement, la victoire du rythme contre l’ennui, les numéros de comédiens qui se soucient peu de leur réputation. On adhère, comme on respire une bouffée d’air frais.