Si son dernier long métrage, The Social Network, prend pour thème de réflexion l’univers virtuel de Facebook, David Fincher a depuis longtemps jeté son dévolu sur les technologies numériques. De Seven à L’Étrange Histoire de Benjamin Button, sa filmographie regorge d’images de synthèse, d’effets spéciaux et de trucages numériques. Ce lien indéfectible qui le rattache à cette dématérialisation progressive des moyens cinématographiques (tournage sans pellicule, montage numérique et projection à l’avenant) a donné naissance à quelques-uns des films les plus marquants de ces quinze dernières années. Guillaume Orignac tente de mettre en lumière dans l’ouvrage David Fincher ou l’heure numérique l’obsession du réalisateur pour cette technique et les modifications qu’elle engendre sur les enjeux de mise en scène.
Fincher est considéré comme un réalisateur classique au sens où son cinéma se réfère aux grands genres de la tradition hollywoodienne : le polar (Seven), le huis clos (Panic Room), la fresque romanesque (Benjamin Button) ou encore le film de procès (The Social Network). Cet apparent classicisme de fond se dote toutefois d’une forme pour le moins novatrice. Tout chez Fincher fait sens numériquement. Les couleurs dévitalisées pour atteindre une ambiance chromatique irréelle invite le public à une scène hallucinatoire, onirique voire cauchemardesque (séquence de fin de Seven), les objets s’animent par des plans impossibles (la traversée d’un mur ou une clé dans une serrure dans Panic Room), jusqu’à des effets de surimpression qui indiquent la complexité d’un monde où des myriades de symboles se superposent (l’algorithme de The Social Network). Les exemples d’intervention numérique en post-prod sont légion et servent avec minutie les visées de Fincher.
Guillaume Orignac, l’auteur de cet essai, propose ainsi un tour des grands chantiers numériques ouverts par le metteur en scène. Malheureusement, l’ouvrage se compulse plus comme un précis (intéressant mais succinct) des thèmes de prédilection de Fincher (l’insomnie, l’horreur contenue dans la banalité du quotidien, l’esthétique de l’obscurité…) que comme une véritable mise au point quant à la technique numérique à proprement parlé. Très (trop) littéraire et finalement peu cinématographique, l’analyse d’Orignac oublie d’évoquer les changements qui interviennent lorsque le numérique prend le pouvoir. En effet, le « tripatouillage » numérique de Fincher ne se contente pas de modifier les arrière-plans ou les décors mais contamine en amont la mise en scène. Abordés par petites touches, ces tours de force techniques ne sont guère étudiés. Peu ou pas d’exploration quant au sens de ces choix. Comment modifient-ils notre perception du monde cinématographique ? En quoi cet hyper-réalisme révolutionne les codes de la narration ? Fincher est-il un technicien du septième Art ou bien un artiste numérique ? Autant de questions qu’on aurait aimé voir abordées dans David Fincher ou l’heure numérique et de réponses qui nous manquent pour mieux comprendre ce cinéaste contemporain.
Reste un essai honnête mais superficiel, dont le titre paraît finalement bien loin du contenu. Idéal pour découvrir le travail de Fincher, il demeure faible au regard des questions soulevées par cette technologie parfois invisible et ô combien signifiante. Si L’Heure numérique laisse sur sa faim, un autre ouvrage publié récemment par Capricci, En un clin d’œil de Walter Murch (monteur son et image de Francis Ford Coppola), fera la lumière avec pédagogie et intelligence sur cette immense révolution nommée numérique.