Capricci publie aujourd’hui cet ouvrage, paru en Chine en 2009, qui regroupe à la fois des notes de travail, des textes pour des revues ou journaux, ainsi que des entretiens donnés par le cinéaste chinois Jia Zhang-ke. Sous un format chronologique classique, ce patchwork de textes laisse entrevoir, au fil de la lecture, le parcours intellectuel d’un cinéaste qui s’interroge sur la nature du cinéma et ne cesse, dans ce dialogue avec lui-même, d’affirmer et d’affiner son propre rapport au septième art.
La première qualité de cet ouvrage réside dans un double constat : ce livre constitue à la fois une bonne porte d’entrée pour qui s’avère être peu familier de l’œuvre de Jia Zhang-ke, en même temps qu’il apporte un éclairage approfondi sur son parcours en tant qu’homme et cinéaste. Les différents textes étant classés par période d’élaboration de chaque film, il sera aisé pour le novice en la matière d’aller pêcher quelques informations supplémentaires ici et là pour compléter sa lecture, même si les notes de travail incluses dans l’ouvrage aident pour beaucoup à la compréhension des enjeux qui habitent le cinéaste à chaque moment de sa vie. Pour autant, on peut très bien lire Dits et écrits d’un cinéaste chinois comme le simple récit d’un regard en constante évolution sur le monde et les hommes.
Il est à la fois frappant et touchant de voir à quel point les origines sociales modestes du cinéaste représentent pour lui une matière à laquelle il se réfère constamment, comme un point d’ancrage de sa lutte pour un cinéma indépendant qui puise son essence dans le réel. L’importance de ses propres expériences personnelles, qui lui ont permis de se construire en tant qu’homme et cinéaste, est sans cesse ramenée au premier plan, et constitue une sorte de leitmotiv de l’humilité, qui transparaît également dans son rapport aux acteurs non professionnels. Le récit de ses débuts en tant que cinéaste (Xiao Shan rentre à la maison, Xiao Wu artisan pickpocket) est ainsi lié à ses rapports de confiance avec l’interprète principal, Wang Hongwei, ainsi qu’à l’idée que l’on peut piocher autour de soi toute la matière nécessaire à la réalisation d’un film. En choisissant par exemple de faire jouer le rôle des parents de Xiao Wu par deux personnes parmi les badauds qui s’attroupent pour observer le tournage.
Méthode non conventionnelle, qui attire parfois le mépris de certains techniciens, pour un cinéaste qui se pose en pourfendeur du professionnalisme, en ce sens où ce dernier fige les concepts et les représentations. Jia Zhang-ke milite pour un amateurisme qui puisse remettre l’esprit artistique au centre et combattre l’uniformisation, avec l’idée que le cinéma appartient à tout le monde, et même aux strates les plus démunies de la société. Une lutte qui prend sens avec le récit de ses années d’étude à l’université de Pékin, où l’on n’hésite pas à traiter les autres de « paysan » lors de discussions sur le cinéma, ce qui pousse Jia Zhang-ke à créer un « Groupe de jeune cinéma expérimental ». Car la question du collectif revêt une importance toute particulière pour Jia Zhang-ke, surtout à l’époque du numérique qui permet au cinéaste de se muer en cavalier solitaire, ce qui traduit une selon lui une « phobie de la coopération ». L’amateurisme pour lequel il plaide ne consiste donc pas en un appauvrissement des standards de fabrication, mais à lutter contre ce qu’il appelle « la sclérose de la création ».
Un engagement qui se fait de plus en plus prégnant avec les années, et qui s’étend à toute une conception du cinéma national et mondial. Avec toujours, en toile de fond, une obsession à ne jamais perdre contact avec la rue, avec ces gens qui souffrent et qui aiment, comme autant d’expériences personnelles que le cinéma est à même de se réapproprier. Qu’on y plonge d’une traite ou qu’on souhaite y piocher quelques textes, Dits et écrits d’un cinéaste chinois révèle toujours un peu plus d’un cinéaste dont la cohérence de la démarche ne l’empêche pas d’avoir mille visages.