Une route de campagne chinoise. Un homme en scooter est stoppé par des fripouilles qui, arme au poing, tentent de le détrousser. Moment de stase. Détonation : en un rien de temps, le conducteur a sorti sa propre arme et transpercé le corps de son agresseur. Non loin de là, dans la ville de Shanxi, alors que la police recherche le responsable des meurtres commis sur la route, un travailleur ironise amèrement sur les richesses que certains ont acquis en privatisant sa mine. Bientôt violenté par les autorités suite à une provocation, il prépare lui aussi un passage à l’acte violent. On pouvait s’attendre à ce que les destins des deux hommes se croisent ; ils restent finalement parallèles. Viendront s’y ajouter deux autres histoires : celle de Xiao Yu, hôtesse d’accueil dans un sauna et celle de Xiao Hui, jeune homme qui fuit son usine après avoir causé un accident du travail, ce qui le contraindrait à travailler gratuitement pendant deux semaines. Arrivé dans une autre région, il trouvera du travail dans un night club et y tombera amoureux. A Touch of Sin s’organise ainsi graduellement en film à facettes, usant de la déconnexion pour mieux couvrir le spectre d’une certaine violence sociétale.
On retrouve ici l’art faussement nonchalant de Jia Zhangke : hormis l’histoire de Dahai, qui prend rapidement une direction limpide, les autres parcours sont faits d’événements apparemment épars autant que de ces non-événements que constituent les déambulations des personnages dans leur environnement. Des séquences absolument hypnotiques tant le film est visuellement sidérant, notamment par la très grande attention portée aux couleurs, qui fait de chaque plan une composition chatoyante – A Touch of Sin est de ces films qui, privés de leur bande son, resteraient captivants. Le film entretien une relation de parenté avec le cinéma d’arts martiaux chinois, qui passe non seulement par le caractère stylisé de sa violence, mais aussi par les costumes dont il dote ses personnages, des sortes d’uniformes qui apportent à leur simple présence dans un lieu une aura romanesque.
Jia Zhangke fait généralement de la violence qui éclate la conclusion de son récit, l’ensemble des scènes précédentes formant ainsi, a posteriori, le terreau et les racines de l’acte. D’une histoire à l’autre, ceux-ci sont en partie les mêmes. Chaque récit renferme des humiliations, que celles-ci se situent dans un relation à la communauté, au pouvoir, au travail, aux riches ou encore à la famille. Les quatre histoires sont en réalité tirées de faits divers. L’acte violent est donc pour Jia Zhangke une question plutôt qu’une réponse : il s’agit de déployer autour de lui l’environnement qui l’a rendu possible. Cet environnement est toujours précis : c’est non seulement celui d’un pays dans une époque particulière, mais qui plus est, à chaque fois, celui d’une région spécifique. À la recherche d’une vie meilleure, les personnages quittent leur région natale pour se heurter à une violence plus grande encore. Et finalement la faire leur.