Si le générique d’un film peut avoir vocation à introduire l’intrigue (en reconstituant, par exemple, la généalogie d’une action ou en l’inscrivant dans une chaîne de cause à effet), il peut également annoncer un programme. Cas extrême : Mission Impossible et son générique qui déroule à grande vitesse la totalité du récit à venir. Plus généralement, le film d’action apparaît comme un terrain propice à l’insertion de séquences synthétisant ses différents mouvements, par un rétrécissement ou une accélération de la narration, ou encore par leur élévation à un certain niveau d’abstraction. C’est par exemple le cas des lignes du générique de La Mort aux trousses, réalisé par Saul Bass. Si cette condensation des enjeux formels et narratifs d’un film passe fréquemment par le travail d’un motif (à la façon des génériques de la saga James Bond), bien d’autres modalités sont à considérer. En ce début d’été, on peut ainsi se tourner vers le générique de Point Break, qui, sans s’inscrire à proprement parler dans la narration, annonce dans son écriture ce qui anime souterrainement le film entier.
Point Break s’ouvre sur une ligne, celle qui sépare l’élément aquatique (la mer) de l’élément terrestre (la rive). Incidemment, elle vient redoubler le trait qui scindait déjà en deux le logo de la société de production entrevu précédemment : Entertainment sur la rive, et au-delà, Largo (le large). Signalons que Point Break est la première production Largo Entertainment – c’est dire combien cette image a valeur de promesse. Ce plan d’ouverture, s’il donne à voir un mouvement organisé depuis la profondeur (le ressac incessant des vagues), lui adjoint un mouvement latéral (le scintillement du sable qui se dégorge d’eau, de droite à gauche). La typographie des credits concentre alors ces deux dynamiques par un effet de surlignage : mouvement latéral (le long de la ligne) et mouvement de va-et-vient (de droite à gauche et inversement).
L’apparition du titre entérine les tendances à l’œuvre dans le premier plan. D’une part, il est lui-même coupé en deux. Les termes point et break sont un temps substitués l’un à l’autre ; le « point break », terme technique appartenant au vocabulaire du surfeur (il désigne le point où la vague se fracasse contre la ligne de côte ou contre un rocher, soit l’horizon mortifère du surf) est aussi le « break point », un point d’arrêt, de rupture ou de séparation. D’autre part, le plan-signature (celui sur lequel la réalisatrice, Kathryn Bigelow, appose son nom) porte un mouvement contradictoire, en cela que les deux pans du titre semblent tirés l’un vers l’autre, de même que les noms des acteurs (Keanu Reeves, Patrick Swayze) sont amenés à s’entrecroiser, voire à se superposer. Il faudrait alors prendre le générique à la lettre : la typographie singulière du « A » (sans bâton) évoquerait la convergence de deux lignes en un point limite, qui est autant un point de convergence que de scission.
Prendre la vague
Une fois figé à l’écran, le titre implose au son d’une vague qui se fracasse. S’ensuivent deux plans sur un surfeur. Un premier mouvement latéral : le surfeur pénètre par la droite dans l’élément liquide, sur un mode d’autant plus abstrait que son visage, d’un bout à l’autre du générique, demeure dans l’ombre, évoluant comme une silhouette sculptée par les reflets du soleil couchant. Du reste, la caméra ne quittera jamais la rive et les exploits du surfeur ne seront ainsi jamais retranscrits que depuis cette extériorité. Un second mouvement dans la profondeur : le surfeur prend la vague, laquelle en s’écrasant s’enroule autour de l’œil de la caméra. C’est précisément le bris de la vague qui va servir de loi de montage à la séquence, et permettre la rencontre de deux personnages.
De fait, la vague semble alors se déverser sur le personnage incarné par Keanu Reeves, qu’on découvre au plan suivant s’entraînant au tir sous une pluie battante. Un montage alterné entrecroise les images du surfeur et du tireur, assimilant celui-ci au chasseur, celui-là à la proie. À un raccord liquide s’oppose ainsi un raccord sec, rythmé par de nombreux coups de feu. La puissance d’évocation de cette séquence tient à ce qu’elle annonce l’antagonisme des personnages (et ce qui va constituer la trame du récit : une enquête de police en immersion dans le milieu du surf) en le portant sur le plan de leur rapport au monde, ou tout au moins à leur environnement. Là où la figure du tireur est inscrite dans des mouvements purement latéraux (il tire sur des cibles tendues sur un fil, qui n’évoluent jamais dans la profondeur ; la pluie tombe sur lui verticalement), le surfeur entretient avec la vague un tout autre rapport, appréciant chaque ondulation, chaque frémissement de la lumière, comme un événement, une déflagration qui reconfigure l’espace et génère de nouveaux déplacements.
Pour autant, c’est bien une rencontre (fusse sous la forme d’une confrontation) qui s’annonce. La séquence prend la forme d’une parade de séduction, voire d’un corps-à-corps orchestré par le montage. Le caractère érotique de la séquence est d’emblée posé : à sa première apparition, Keanu Reeves a un bâton de chewing-gum entre les lèvres et le canon d’un fusil dressé entre les jambes. Lors de la séance de tir, il semble que les reflets rougeoyants du coucher de soleil renvoient à l’écoulement du sang, tandis que la fumée blanche qui s’échappe du canon à chaque décharge est redoublée par l’écume incessamment projetée par la planche. Passé le dernier coup, le personnage range son arme et se tourne vers son collègue. « 100% Utah », annonce ce dernier, comptabilisant les cibles atteintes. Si le surfeur n’est encore qu’une image (on devine rétrospectivement qu’il s’agit de l’un des personnages, Bodhi, qui périra finalement sous la vague), Utah est nommé (et son nom dit encore son rapport à la terre). Il n’est pas anodin que soit ainsi formulée une expression de la performance, dans la mesure où elle s’inscrit en faux contre un effet de montage, qui annonce quant à lui une forme d’impuissance à se saisir de l’autre.