Deux fois par mois, focus sur une chaîne ou une vidéo glanée sur Internet.
Non, la réalité virtuelle n’annihile pas le hors-champ. Il est toujours là : tapis sous la surface des choses ou dans les angles morts d’un champ de vision qui, aussi mobile soit-il, reste encore délimité par un cadre. La singularité de la VR se trouve ailleurs, dans le privilège accordé à un spectateur actif dont le premier réflexe est de tourner la tête, de rejouer quelque part la naissance de son regard face au monde. Depuis la démocratisation des casques VR et de la fonction gyroscopique des téléphones portables (permettant de mesurer les mouvements de rotation d’un appareil autour de lui-même), de nombreuses vidéos sur Internet proposent un visionnage à 360°, dans un dispositif qui a davantage à voir avec les panoramas du XIXe siècle qu’avec la réalité virtuelle à proprement parler (l’axe de rotation reste fixe, et l’image est en deux dimensions – hauteur et largeur –, simplement incurvée et repliée sur elle-même comme une sphère). Une courte vidéo, tout à fait passionnante, propose de rejouer de la sorte l’une des obsessions de la science-fiction contemporaine (Interstellar, High Life) ou des séries documentaires consacrées aux mystères de l’univers (Through the Wormhole, Cosmos) : mettre en scène la chute d’un regard piégé par la force gravitationnelle d’un trou noir. La proposition est d’autant plus excitante que dans le cadre d’une vidéo en VR, le numérique apparaît à la fois comme la condition sine qua non de la représentation (la simulation permet d’exposer la forme d’un trou noir à l’heure où l’on peine encore à les photographier), et le moyen d’expérimenter un phénomène lié à notre réalité concrète et matérielle (le panorama, en dépit de son artificialité, a toujours eu une forte connotation documentaire). Le mouvement continu de la caméra en direction de l’objet céleste, contrebalancé par l’horizon du trou noir qui peu à peu avale notre champ de vision, vient quant à lui rejouer la fameuse tradition (hitchcockienne) du travelling compensé au moment de figurer l’attirance mortifère d’un corps pour la profondeur. Vertige littéral donc, mais aussi vertige existentiel, en ce que la vidéo tend à confronter l’internaute à sa propre condition. Dans l’abîme du temps, alors que le cercle cosmique s’agrandit et nous renvoie aux extrêmes limites de notre vision (celle d’une image qui, même en « 360 VR », ne saurait tout englober), c’est notre visage qui se reflète peu à peu à l’intérieur de ce black hole devenu black mirror.