Premier film d’un grand auteur international attendu en compétition, et plutôt une jolie surprise. Dans la carrière de Gus Van Sant, celui-ci serait à classer aux côtés d’œuvres telles que Will Hunting (d’autant plus que Matt Damon en signe une fois de plus le scénario, avec son nouveau compère John Krasinski) et Harvey Milk (pour le côté – c’est une bien vilaine expression – « sujet de société ») avec un récit de facture classique, et une mise en scène d’une belle sobriété. Il faut d’ailleurs souligner, à ce titre, toute l’humilité d’un Gus Van Sant qui peut parfois en passer par certaines expérimentations de mise en scène, mais qui ici sait s’effacer au bénéfice du sujet traité.
Késaco ? Steve Butler (Matt Damon) et son acolyte, interprétée par une savoureuse Frances McDormand, sont deux employés d’une grande firme qui exploite des gisements de gaz naturel. Leur mission : se rendre dans de petites bourgades américaines désœuvrées qui recèlent en leur sol de grandes richesses en matière de gaz, et faire miroiter aux quidams locaux des gains mirobolants pour les convaincre d’en accepter l’exploitation. Exploitation qui implique tout un tas de techniques de « forage » à base de produits chimiques qui vont venir empoisonner cette Terre promise.
À travers une description du milieu rural attachante et plutôt dénuée de folklorisme, Gus Van Sant aborde, l’air de rien, un sujet assez grave et rarement mis en avant par l’actualité, dans la veine d’un Erin Brockovich mais sans le côté « film-dossier ». Le premier mérite de ce film « grand public », c’est donc d’amener sur le devant de la scène certains aspects écologiques (redoublés par l’arrivée d’un personnage d’activiste vert en ville), avec un portrait en creux d’une forme d’agriculture classique qui meurt à petit feu, et toute la bourgade avec. Donner un visage humain – celui de Matt Damon, figure glamour de l’Américain moyen – à cette horrible firme, c’est faire preuve d’une certaine ironie, tout en réussissant de manière assez enlevée à filmer d’égal à égal ce protagoniste et ce petit monde qui l’entoure.
Bon, soyons francs : Promised Land sera probablement considéré par beaucoup comme un Gus Van Sant mineur, et ils auront sûrement raison même si le film, en écho à son titre, pose la question de savoir comment cette terre pleine de promesses a pu en arriver là. Ce questionnement se concrétise en un cas moral annoncé dès les premiers plans du film où Steve Butler, indisposé par un repas d’affaire trop riche, vient se passer de l’eau sur le visage dans les toilettes d’un restaurant. Lire entre les lignes : jusqu’à quand peut-on continuer à se gaver de mensonges ? Sans tomber dans le pamphlet militant, qui rendrait la pilule difficile à avaler pour un film labellisé « cinéma indépendant hollywoodien » (produit par Focus Features, filiale d’Universal), Promised Land cultive une vague incertitude quant aux motivations de son personnage qui tente de s’arranger avec sa conscience en séparant sa personne de son métier, et sur son possible retournement de veste.
C’est ce qui constitue également la limite de l’exercice, avec un récit tracé à l’avance, qui ne manque pas de virer à la fable des bons sentiments, guidé par l’envie de rendre acceptable pour le grand public une réalité pourtant assez morne. Mais on restera tout de même sur un a priori plutôt positif, d’autant plus que Gus Van Sant ne donne pas l’impression de prendre les choses par-dessus la jambe, ou de s’accorder une récréation entre deux projets plus personnels. Accordons-lui donc la même attention.