Avec un nouveau film en compétition officielle, Transit, Christian Petzold est l’un des réalisateurs-phares de cette 68ème édition de la Berlinale. Nous avons pu l’interviewer à propos de ce film singulier, tourné à Marseille l’année dernière.
Quel a été pour vous le point de départ de Transit ; cette idée d’adapter le roman d’Anna Seghers en le transposant à une époque qui ressemble un peu à la nôtre ?
Lorsque j’ai commencé à réfléchir à Transit, j’ai rapidement été insatisfait avec l’idée d’en faire un film historique. Je me suis alors souvenu de quelques adaptations cinématographiques d’œuvres littéraires : The Long Goodbye [Le Privé] de Robert Altman, notamment, qui transpose l’intrigue originale, située dans les années cinquante, à l’époque contemporaine au tournage, dans les seventies. De cette tension naît un jeu entre l’Histoire et le présent qui m’a inspiré pour Transit. J’ai aussi été très marqué par un film que Chantal Akerman avait réalisé pour la télévision dans le cadre d’une série de films sur « la jeunesse dans les années soixante », je crois. Le film s’appelle Un jour à Bruxelles, ou quelque chose comme ça. On suit un jeune couple dans la ville, ils s’achètent un disque des Beatles, vont l’écouter chez eux puis dorment ensemble, et c’est tout. Seulement, Akerman a filmé cette histoire dans le Bruxelles contemporain au moment du tournage, c’est-à-dire dans les années 1980. J’ai trouvé ça génial ! Pas au sens où il s’agirait d’une blague, d’une coquetterie de mise en scène, mais parce que Chantal Akerman se servait de cet ancrage contemporain pour montrer que ses personnages évoluaient dans une époque qui n’était plus la leur. Et c’est en fait très vrai : nous continuons de nous abreuver de cette musique des années 1960 ; nous avons tout simplement besoin de cette identité « Pop » parce que le monde auquel elle appartient ne s’est pas complètement évaporé. Il s’agit de jeter un coup d’œil en arrière, pas dans le sens d’un regret nostalgique (« c’était mieux avant »), mais pour comprendre ce que notre époque est devenue.
Pouvez-vous préciser un peu ce qui vous a particulièrement intéressé dans le roman d’Anna Seghers ?
En ce qui me concerne, je n’ai pas du tout lu Transit comme un commentaire historique. Je sais, nous savons tous qu’il y a eu Vichy, Pétain, que la France a été occupée par les troupes allemandes. Le plus intéressant dans le texte d’Anna Seghers est la façon dont elle saisit la quête désespérée de tous ces personnages pour s’enfuir de la zone de transit : cet espace est comme une « twilight zone », qui prolonge d’un côté leur quotidien banal, mais qui de l’autre devient un espace des possibles. Anna Seghers nous raconte que dans cet espace du transit, il est possible de s’inventer une histoire.
L’un des aspects les plus remarquables de votre film est l’utilisation que vous y faites de la voix off. Pouvez-vous la commenter un peu ?
Dans le film, le narrateur en voix off se situe quelque part entre l’écrivain et le simple propriétaire du bar ; en tous les cas, il est en retrait de l’action. Un peu comme nous aujourd’hui, qui ne voyons pas les réfugiés tout en nous emparant de leur histoire. Plus spécifiquement dans mon film, ce narrateur est quelque peu mû par l’aspiration à rejoindre l’aventure de ces personnages qu’il observe.
Ces personnages, justement, sont assez singuliers. Il y a d’une part Franz Rogowski, qui est constamment dans la fuite, et d’autre part Paula Beer, qui joue une jeune femme plus spectrale.
Paula Beer joue un personnage qui d’une certaine manière regarde les choses depuis ce que Walter Benjamin appelle « la fin de l’Histoire » : elle avance, s’arrête pour réfléchir quelques minutes, se retourne. Elle saisit quelque chose, elle comprend ce qu’est l’amour, ce qu’elle n’a pas fait correctement, et continue à avancer.
Franz Rogowski, quant à lui, est ici comme « le vent de l’Histoire ». Dans son mouvement, il apprend aussi à se connaître lui-même et dans le même temps, il fait en sorte que l’histoire n’emporte pas tout sur son passage.
C’était la première fois que vous tourniez en France. Comment s’est déroulé le tournage à Marseille ?
Marseille est une ville qui a conscience de son importance, qui se préoccupe de son image – elle attire beaucoup de touristes et autrement, elle reste pendant six mois une ville portuaire. En tout cas, je ne me suis pas du tout senti « en danger », mon expérience de la ville a été très loin de ce qu’on peut entendre sur les gangs qui s’y bagarrent, les armes qui y circulent et les crimes qui s’y produisent. Et puis l’OM est mon club de football préféré ! Donc logiquement, Marseille est la meilleure ville du monde, et le tournage n’y a pas du tout posé de problème. Nous avions aussi prévu de tourner à Paris, mais à cause des attentats nous ne pouvions pas envoyer de policiers dans les rues pour faire des prises de vue.
Pour finir, travaillez-vous actuellement sur un nouveau projet ?
Eh bien oui ; je suis en train de terminer le tournage du troisième épisode que je réalise pour la série Polizeiruf et autrement, je vais bientôt commencer à tourner une histoire d’amour avec à nouveau Paula Beer et Franz Rogowski dans les rôles principaux. Ils l’ont bien méritée !
Interview menée en allemand au Lounge du Palais des Festivals. Questions et traduction : Maël Mubalegh.