Ce long-métrage de fiction réalisé par Darielle Tillon, qui en est également la scénariste avec Guillaume Esterlingot, baigne dans une inquiétante étrangeté vénéneuse et poétique. La cinéaste nous conte l’histoire de David et Éric, deux frères tenant le snack bar d’un camping perdu sur une plage normande. Éric, qui paraît déjà presque ailleurs dans cet espace monotone, disparaît mystérieusement dans une histoire de trafic de voitures vers la Bulgarie. David part alors à sa recherche. Cette nouvelle ère glaciaire, c’est celle de la difficulté à communiquer, les deux frères ne se connaissant pas malgré leur parenté. Éric est un personnage qui décide de fuir sa vie et un territoire dans lequel il n’arrive pas à s’adapter ; son frère part alors en quête d’un individu qui lui est extérieur dans un pays étranger – la Bulgarie – dont il ne maîtrise pas la langue. La métaphore est forte. Dans une magnifique séquence se déroulant lors d’un concert de metal, David voit le corps de son frère décomposé par les lumières stroboscopiques. Tout est là. En quelques plans, l’auteur signifie l’observation lointaine d’un corps et d’une personnalité étrangère malgré sa familiarité apparente. Les non-dits sont puissants, tout comme les détails de la disparition qui se dévoilent peu à peu, renforçant l’étrangeté du métrage. Par sa structure double qui utilise admirablement l’ellipse – le film est divisé en deux parties –, ses personnages opaques et son aspect mystérieux, ce film aux notes fantastiques comprend des réminiscences lynchiennes. Darielle Tillon métaphorise aussi les difficultés de l’humain à s’adapter à un territoire par un retour à l’animalité, seul manière de vivre pleinement et naturellement dans le monde – avec un thème de la métamorphose physique que ne renierait pas Cronenberg. Les plans de fin, d’une grande puissance poétique, restent longtemps à l’esprit, comme ce chien, figure centrale de l’œuvre, qui court sur une route de campagne à la poursuite de David qui s’éloigne tragiquement.