[Rétrospective « Nouveau cinéma suisse »]
Le dimanche, les Dufour, petits citadins commerçants (le père, la mère, le fils et la grand mère) ont l’habitude d’aller déjeuner dans une auberge en pleine nature. Cette fois là, rien ne se passe comme d’habitude. C’est l’été, la mère redouble de joie en se préparant : elle aime quitter sa petite ville pour se délecter de verdure et de soleil, avec les gens qu’elle aime. Elle doit beaucoup insister pour que son fils Philippe, que sa petite amie a envie de voir seul, se joigne à l’escapade. Après avoir dû s’arranger avec une panne de voiture, le père, serrurier, les met en retard en allant dépanner une cliente. Ils n’ont pas réservé, le restaurant ne peut les accueillir. En effet, ce jour là est celui de noces, celles de Henriette. Peu exigeants, les Dufour se contentent d’un repas froid dégusté dans les champs, à distance des festivités. La grand mère somnole à l’ombre, le père se promène dans les bois, la mère s’allonge au soleil. Dans une très belle scène, la caméra tourne autour d’elle : les yeux fermés, elle fredonne l’air que diffuse sa radio, le sourire aux lèvres, profitant pleinement des rayons qui réchauffent sa peau, du bruissement du vent dans les branches et les herbes vertes. On ressent alors intensément le bonheur que lui procure ce moment privilégié. Les Dufour sont des gens simples, ils vivent modestement et savent profiter de ce qui leur est offert. Leur légèreté relativement excentrique les rend attachants et drôles : dans les bois, le père se défoule en cognant sur des troncs, en faisant de grands sauts ; l’impossibilité de deviner à quoi pense la grand mère quasi mutique la rend cocasse ; la mère, qui met ses formes plantureuses en valeur et aime batifoler, respire une joie de vivre communicative.
Tout oppose les Dufour à la famille célébrant le mariage non loin d’eux. Lors du banquet, le père du jeune marié tient un discours des plus détestables. Directeur d’une entreprise fabriquant de la limonade, il est fier de la situation convenable qu’il lègue aux jeunes mariés et qu’ils devront pérenniser. Le fils partage cet enthousiasme moralisateur bien pensant. Henriette, elle, est ennuyée d’avance. Elle ne manifeste aucune tendresse envers son mari, et ne laisse percevoir le moindre sourire sur son visage. Elle est absente, mélancolique, déjà lassée de la vie qui s’apprête à être la sienne. Les noceurs appartiennent au monde mortifère des traditions, de la rigueur, de l’honneur. Leur vitalité est aussi desséchée que celle de l’arbre mort auquel sont consacrés quelques plans.
Comme le veut la tradition, la mariée offre une part de gâteau au premier venu. Ce dernier, c’est le beau Philippe, le fils Dufour. L’attirance entre Henriette et lui est immédiate, évidente, et ils s’enfuient ensemble. Pour un temps, la rigidité que la famille des époux tente d’imposer ne résiste pas au vent de folie que la nature incite à suivre. Sans presque se parler, les jeunes gens se mettent à courir, dans les champs, dans les bois, à travers les ruisseaux, les routes, dans des scènes de toute beauté. La robe blanche de la mariée se détache du vert de la nature, son voile, comme les feuillages alentour, s’agite gracieusement dans le vent. La jeunesse, sa folie, la liberté et le bonheur auxquels elle aspire, sont magnifiés par le plein air estival. Ils s’aiment déjà, plus rien ne compte que de rester ensemble. Scandalisée par la fugue, la famille de Henriette se lance à leur poursuite. Les Dufour, eux, épicuristes simples, sourient de l’événement. Leur fils a bien droit au bonheur. La platitude de la réalité rattrapera pourtant les fugueurs. Dans la dernière scène, sagesse et conformisme ont tragiquement gagné la bataille.
Claude Goretta excelle à décrire ces deux mondes que tout oppose, qui réagissent à l’imprévu avec intransigeance d’une part, confiance et tolérance de l’autre. La nature et l’été, personnages à part entière, mettent en valeur l’attachante simplicité de ceux qui en profitent et suivent leurs lois, l’abjection de ceux pour qui ils ont moins de valeur que la moralité.