Patatras, voilà l’affreux : Tale of Tales, saut dans le vide de l’Italien Matteo Garrone, est une grosse tambouille visqueuse qui pénètre l’imaginaire du conte pour y entrecroiser une poignée de récits (a priori inconnus, du moins chez nous : tout provient d’un obscur recueil italien du XVIIe). Des rois, des princesses, des sorcières, des métamorphoses, mais aussi et surtout une obsession pour le dégueulasse, le laid, le vieux : il y a un grand ogre chauve et bosselé qui viole une princesse ; il y a un roi lubrique qui trousse joyeusement la paysanne, puis fornique sans le vouloir avec une vieille sorcière ; un autre qui gave une puce jusqu’à lui donner la taille d’un gros chien ; deux jumeaux blancs comme des morts, qui nouent une complicité contre-nature ; et tout est ainsi, parcourant distraitement les territoires de l’imaginaire merveilleux, pour n’y laisser germer que des histoires sans queue ni tête, et des écœurements sans nom.
Pourtant, Garrone s’est bien entouré, et pour cause : connu essentiellement pour son vigoureux Gomorra, le transalpin s’improvise ici en plasticien migraineux – ce qui nécessite un peu de métier, même pour arriver à un résultat de mauvais goût. On s’étonne de voir ainsi au générique le nom de Peter Suschitzky, chef-opérateur de David Cronenberg et, par voie de conséquence, pro de la chair monstrueuse, du corps difforme, du sang séché. Tout talentueux qu’il soit, c’est peut-être un peu à cause de lui que Tale of Tales est si désagréablement froid et rigide (pour le défendre, disons plutôt qu’il n’a rien à faire dans une telle galère). Car bien que tout ce qui dans les contes fait habituellement figure de repoussoir y tende tout de même la main à notre imaginaire ; ici ces mêmes forces de répulsion s’incarnent trop brutalement, et s’imposent à nous dans des corps finis, inaltérables, puants. Il y a comme un problème de matière, d’hyperréalité, qui empêche l’imaginaire de poindre dans le film, une inertie morbide de tous ses corps et tous ses objets : les peaux sont flasques, certaines ont même l’air d’être en plastique, et les effets numériques font courir des insectes et des sangliers dans le champ comme des choses sans poids, par pure commodité de production, sans qu’aucune barrière du vivant et du mort, du matériel et du digital, ne semble préoccuper l’esprit de Garrone – on jurerait même, à un moment donné, qu’une larme coulant sur le visage d’un acteur a été réalisée par ordinateur.
Rien à sauver, vraiment, de cette espèce de grosse omelette aux champignons étalée sur le tapis rouge du Grand Palais, et dont on peine à s’expliquer la présence : peut-être sa fumisterie plastique a‑t-elle fait passer un tel film pour un émule de Peter Greenaway, qui est effectivement un des points d’attaches du film, au même titre que les blockbusters gothico-féériques déglutis dernièrement par Disney. Mais ce qui est sûr, c’est que ce « conte des contes » est tout le contraire d’un conte, puisqu’il n’est jamais une rêverie légère : il est lourd comme un bœuf, vise la fantaisie, mais ne déploie qu’une partouze médiévale pontifiante. C’est non.