En 2014, un internaute s’est amusé à retirer la musique de John Williams de la scène finale de La Guerre des étoiles. Privée de sa partition épique aux accents holstiens (la vidéo remplace d’ailleurs au tout début le score par les dernières notes de Jupiter, The Bringer of Jollity), la séquence se dénudait pour dévoiler ses aspects les plus ingrats : sourires forcés des acteurs, regards appuyés mais vides d’émotion, et surtout action sans queue ni tête — les mouvements et les postures des personnages obéissant à un cérémonial seulement dicté par la musique. Bref, une scène vidée de sa substance, comme un clip taillé sur mesure pour une bande-son que l’on aurait ensuite gommée ; une poignée de minutes au mieux vaguement curieuses, en cela qu’elles sont hantées par une absence, au pire franchement embarrassantes. Si l’on pense à cette vidéo devant le Pinocchio de Matteo Garrone, c’est parce que l’on devine plus d’une fois que le film, noyé sous les atroces compositions sirupeuses de Dario Marianelli, patinerait encore davantage sans cette béquille musicale qui, à défaut de convaincre, « colore »au moins les différentes scènes. Faites l’exercice de boucher vos oreilles, ou de mentalement soustraire l’accompagnement musical, et c’est un chapelet de scènes exsangues qui défilent sous vos yeux. Car Pinocchio est un film sans vie, quand bien même il s’attaque à un conte peuplé d’êtres fantastiques où l’organique et l’inanimé se confondent : une bûche de bois devient un petit garçon tandis qu’à l’inverse l’intérieur d’un monstre marin ressemble à une grotte.
Fidèle à la trame générale du livre de Carlo Collodi, Garrone en propose une version néanmoins édulcorée, où la méchanceté du pantin compte moins que sa naïveté, domptée à l’issue de péripéties prenant la forme de vignettes à la fois insipides et stylistiquement surchargées (comme déjà dans le navrant Tale of Tales, Garrone mise beaucoup sur une production artistique rutilante). C’est que le cinéaste, contrairement au pantin, ne se départit jamais de sa candeur et fait preuve d’une foi qui laisse pour le moins perplexe dans l’émerveillement ou l’amusement supposés sous-tendre plans et scènes dénués du moindre intérêt. Ainsi de ce juge-singe dont la caméra dévore les soubresauts, ou de cette gouvernante-escargot laissant derrière elle des traces gluantes qui ne manqueront pas de faire glisser quelques autres créatures chimériques. Dans son échec sans éclaircie, le film n’est pas sans faire penser au récent Prince oublié de Michel Hazanavicius, dont l’incursion vers le conte témoigne d’un même repli sur un imaginaire toc et d’une laideur souvent insane. Si Garonne avait au moins pour lui une histoire plus ambiguë et sombre qu’il n’y paraît (se souvenir du trouble et de l’émotion du A.I. de Steven Spielberg, relecture radicale et assumée de Pinocchio), il n’en a tiré qu’une fantaisie destinée, on l’imagine, aux enfants. On peut après tout bien concéder que ce choix se tient (la preuve : Disney a fait peu ou prou le même pour l’adaptation de 1940), le film n’en demeure pas moins une croûte.