Un couple infertile mène une procédure d’adoption tout en faisant croire à son entourage que la femme est enceinte. Les époux constituent de cette grossesse fictive un album-photo afin de poursuivre la supercherie auprès du principal intéressé : le bébé à adopter. C’est autour de ce gros mensonge que se construit une intrigue assez lâche qui confronte l’intime du couple à son environnement social. Le parcours vers l’agrément est semé de rencontres administratives avec divers fonctionnaires qui surviennent comme autant de saynètes pittoresques propres à épingler une société turque de province assoupie et égocentrique. Car cette mystification n’est que le signe indicateur de la superficialité et de la fausseté des deux époux, dont le film raille l’ignorance crasse et le vilain racisme. Adoptant des réflexes de consommation jusqu’à vouloir un bébé dont le minois s’accorde à leurs désirs autant qu’à leur appartement, ils rejettent sans appel le premier enfant qu’on leur propose.
Cette comédie de mœurs rêverait bien par moments de troquer la cruauté de sa caricature contre un peu de fantaisie. Elle jette ainsi quelques coups d’œil du côté du comique absurde d’un Roy Andersson en faisant surgir une dinde au beau milieu d’un entretien avec le directeur d’un orphelinat. Plus tard, c’est vers un irréalisme proche de l’anticipation fantastique du Lobster de Lanthimos que lorgne le travelling qui balaie un open-space parsemé d’employés écroulés sur leur bureau. Mais c’est aussi dans la panoplie de l’art contemporain que Mertoǧlu puise ses dispositifs de plans. Après un dézoom progressif, un gros plan sur le visage d’un fonctionnaire finira ainsi par le cadrage frontal de l’ensemble du bureau ; un autre balaie une salle de classe par un travelling en plongée qui finit par dévoiler l’homme du couple en professeur dépité de ne pas intéresser ses élèves à l’histoire-géo. Dans cette marmite de poncifs, il n’oublie pas l’incontournable split-screen de caméras de surveillance. Car chaque plan apparaît comme une cellule qui enserre des personnages déjà dévitalisés par un récit qui ne leur laisse aucune chance. En faisant pendouiller une figurine d’Elvis au rétroviseur de la voiture du couple, on imagine avec quel petit ricanement Mehmet Can Mertoǧlu a pensé épingler le mauvais goût de ses protagonistes. Il ne se doutait certainement pas que ce détail témoignerait davantage de la vulgarité du regard qu’il porte sur eux en les montrant confis dans leur médiocrité.