Franco-Cambodgien déjà auteur d’un documentaire remarqué (Le Sommeil d’or, sur la disparition du cinéma sous les Khmers rouges) et d’un court-métrage sélectionné en Quinzaine des réalisateurs (Cambodia 2099, dont le titre dit bien l’espèce de futurisme feutré qu’on retrouve magnifié dans celui-ci), Davy Chou signe avec Diamond Island sa toute première fiction en long-métrage, sous des auspices poliment weerasethakuliennes. On y suit une bande de jeunes garçons, ouvriers sur le chantier d’un rutilant complexe architectural à l’outrance toute émirati. Le soir venu, ils traînent dans les fêtes foraines, emmènent les filles à moto et goûtent, malgré leur condition de pauvre, à un certain idéal d’adolescence que Davy Chou filme avec une sensualité déconcertante.
À vrai dire, les qualités de Diamond Island sont tellement du côté du sensoriel qu’elles nous ont à peu près amené à désinvestir son intrigue. Il y en a pourtant bien une (Bora, le jeune héros, retrouve un frère aîné perdu de vue depuis 5 ans, tandis qu’au loin dans son village natal sa mère se meurt), mais qui ne semble bientôt plus qu’effleurée, caressée, finalement comme anesthésiée par le véritable dispositif d’hypnose que met en place le film. Chatoiement des lumières urbaines, bleu électrique des phares au xénon, douce lueur de l’écran d’iPhone, couplés à un choix avisé de t-shirts colorés composent un ensorcèlement visuel permanent, qu’il ne faudrait pas prendre pour de la simple joliesse : il y a de la gravité, du spleen dans cette beauté que les personnages partagent comme un trip, glissant langoureusement les uns autour les autres, s’adonnant à des rituels de drague dont la symétrie parfaite appelle une finalité moins sexuelle que purement chorégraphique.
C’est tout l’étrange paradoxe de Diamond Island que de conférer à ces adolescents une présence sensuelle inouïe et de les désincarner dans le même geste, de dépeindre même leurs débordements d’émotions, de joie, de colère, de jalousie, comme des choses un peu feintes ou fantasmées. L’inscription des corps dans leur environnement relèvera elle aussi de ce double mouvement : réappropriation vibrante de l’espace (ce chantier qu’on dirait conçu pour des dieux, ils en sont pourtant les rois : on ne voit jamais leurs chefs et ils semblent presque s’y rendre au gré des envies) et rétrogradation à l’état de figurant pour dépliant immobilier. Danse de l’adolescent et de l’architecture, du vivant et du mort : dans l’encadrement des grues, sous cet espèce de scintillement irréel du béton neuf des chantiers futuristes, des corps idéalisés flottent lascivement, religieusement plongés dans leur propre beauté. Davy Chou a un talent incontestable. Son film a un parfum quasi aphrodisiaque.