Nous l’avions déjà rencontré l’an dernier lors de la sortie de son premier long métrage remarqué, Un jeune poète. À l’occasion de la sélection de son nouveau film Le Parc à l’ACID Damien Manivel revient avec nous sur les « principes de réalité » qu’il a affermi avec la production de ce second long.
Lorsque vous aviez rencontré Critikat à l’occasion de la sortie d’Un jeune poète, vous évoquiez le fait qu’à chaque film, vous avez réduit votre équipe technique le plus possible, jusqu’à n’être que quatre. Avez-vous reconduit cette légèreté dans la conception du Parc, et cela va-t-il de pair avec un mode de production rapide ?
Nous étions mieux préparés que sur le film précédent, mais comme sur Un jeune poète, le noyau dur de l’équipe artistique est resserré autour d’Isabel Pagliai qui co-écrit et fait l’image et de Jérôme Petit au son. Deux stagiaires du Master assistant-réalisateur de Poitiers nous ont également beaucoup aidé et nous avions une régisseuse.
J’ai créé ma société de production pour Un jeune poète et c’est ainsi que j’ai également monté Le Parc. J’ai envie de faire des films sans passer deux ou trois ans à écrire. D’autre part, si j’avais écrit ces deux scénarios en bonne et due forme, je n’aurais pas obtenu d’aide publique, c’est une évidence. Ce sont des films qui reposent sur l’atmosphère, la présence des comédiens, le rythme…
Cette forme de production relève donc plutôt d’un principe de réalité ?
Oui, on peut dire cela. C’est juste que je ne peux pas soumettre mon désir de cinéma à l’avis des commissions. Je serais très heureux qu’ils m’aident car nous en avons besoin mais vu qu’ils se focalisent sur l’objet scénario, et que je fais sans, il y a comme une impasse… mais bon, j’essaye de rester optimiste.
Le Parc est donc produit par MLD Films, la société que j’ai montée. Je suis accompagné en coproduction par Shellac qui s’est également engagé sur la distribution, je bénéficie de la participation de The Open Reel sur les ventes internationales et d’une chaîne de télévision, Ciné +. Je ne suis pas dans une situation confortable mais j’ai fait un film en neuf mois de la première idée jusqu’à la première projection ici, à Cannes, donc je suis fier de notre travail à tous.
Ce système de production vous permet d’écrire peu en amont pour laisser une grande part au hasard sur le tournage.
Effectivement, avant le tournage, j’essaye surtout de protéger l’intuition qui a initié le projet et après je m’occupe de choses concrètes comme la préparation, le casting, les repérages. Je ne formalise quasiment rien dans ce temps de maturation, en tout cas, pas un scénario au sens classique du terme. Ce n’est que quelques jours avant le tournage que je commence à travailler avec ma co-scénariste Isabel Pagliai. Nous tournons chaque jour ce que nous avons écrit la veille.
Cela signifie que lorsque les acteurs, qui sont non professionnels, acceptent de s’engager, ils n’ont eu entre les mains aucun projet écrit ?
C’est ça. Il est indispensable qu’ils me fassent confiance. Je suis le plus transparent possible avec eux. Je leur explique que ma méthode de travail est particulière, que l’incertitude et le doute font partie intégrante de chaque journée de travail, qu’on avance avec ce qui se passe. Lors de nos premières rencontres, je leur ai dit les grandes lignes – c’est une histoire d’amour entre deux adolescents et il y a également un personnage de gardien de parc – car c’est tout ce que je savais à ce stade. Aucun d’eux ne m’en a demandé davantage. Mais c’est peut-être parce qu’ils me voient tellement stressé sur le tournage qu’ils ne veulent pas m’embarrasser !
Pour ce film, je recherchais un trio : il importe avant tout pour moi que la relation fonctionne entre ces trois personnages. Quand Naomie et Maxime se sont rencontrés, il y avait entre eux beaucoup de timidité. Je n’ai pas souhaité qu’ils se voient davantage pour que ce sentiment subsiste au tournage. C’est Isabel Pagliai qui a d’abord rencontré Sessouma qui est professeur de philosophie à Poitiers : lorsque je l’ai vu arriver de loin lors de notre première rencontre, sa présence dans le film a été une évidence.
Dans un entretien, vous vous définissiez comme un artificier qui met en place pour chaque plan une situation qui peut fonctionner ou pas.
Ce qui m’intéresse, c’est de ne pas tout contrôler, pour être surpris par ce qui arrive. Pour le premier plan, par exemple, je pose la caméra, et j’attends de voir ce que Naomie et Maxime font de cette situation qu’est le début d’un rendez-vous amoureux. Ensuite, je me sers d’un geste, d’un regard, je travaille la scène en direct, j’ajoute ou retranche des éléments et si avec chance il y a un coup de vent ou un changement de lumière qui s’invite dans la scène alors je sens qu’on a trouvé. C’est de l’écriture de plateau. Je me rends compte qu’il y a quelque chose de très paradoxal dans ma façon de travailler : j’essaie d’éviter le plus possible d’être dans le contrôle, mais je fais des films très ordonnés et précis. Au montage, la structure est très conforme à ce qu’on a écrit. Bien sûr, il y a des éléments dont on se sépare. Mais j’ai moitié moins d’heures de rushes que sur un tournage classique.
Le récit du Parc repose sur une situation très simple, assez banale. Et sur un décor unique. Cela vous permet de travailler les gestes de façon précise, la chorégraphie des corps dans le cadre et d’utiliser le décor naturel du parc comme un terrain de jeu de mise en scène.
J’aime travailler sur des choses ténues ou quotidiennes. On se reconnaît dans la familiarité de la rencontre de ces deux ados. Reprendre l’histoire d’une rupture adolescente est suffisamment rebattu pour que je puisse le montrer à ma façon.
Évidemment, je viens de la danse, donc je trouve que la chorégraphie est essentielle au cinéma. Mais peut-être que l’on voit plus les gestes dans mes films juste parce qu’il y a la place pour les voir ? Il s’agit d’un dosage entre la narration, le paysage, le dialogue, les gestes… Mais sur le plateau, tout se met en place de manière très intuitive, je ne pense jamais à ça.
Faire un film dans un lieu unique, c’est un défi. À partir ce cette contrainte, je fais appel à mes souvenirs, à ce que le lieu évoque pour moi, mais je vais aussi concrètement chercher tout ce qui est mis à disposition par le lieu : une colline, des escaliers, un arbre. En cherchant à épuiser les possibilités qu’offre ce décor naturel, je vais nourrir l’histoire.
Vous avez dit être troublé lors de votre premier dérushage parce que vous pensiez avoir tourné des plans « plus normaux ». Il est vrai que votre façon de cadrer est très identifiable.
Depuis mon film Un dimanche matin, je ne ressens plus ça mais au début oui. Lorsqu’on commence et que l’on veut faire des films, on a envie que ça ressemble à du cinéma, pas que ce soit étrange. Après, je me suis rendu compte que c’est une qualité et même que c’est ce que je recherche en tant que spectateur, lecteur… qu’on me montre le monde que je connais, dans lequel je vis mais avec un regard autre, une sensibilité ou un tempo différents. Le « style », si on peut employer ce mot là, m’intéresse bien plus que l’originalité d’une histoire.
Le long plan où vous filmez le jour qui tombe sur le visage de la jeune fille s’appuie sur les effets de la lumière sur un visage.
Les heures qui passent sur le parc, le ciel qui change, la nuit qui tombe … c’est déjà de la structure narrative. Pour ce plan-séquence, qui dure dix minutes, on a fait une seule prise. Naomie Vogt-Roby y est incroyable.
Ce plan qui intervient à la moitié du film laisse beaucoup de place au spectateur qui a le temps de se demander comment l’histoire va se retourner dans sa seconde partie. Le basculement vers le fantastique qui arrive ensuite produit une véritable surprise.
Pour moi le fantastique est déjà présent dans la première moitié du film, mais sans se déclarer. Il y a une étrangeté qui en fait un monde un peu rêvé.
Pensez-vous réaliser votre prochain film dans la même économie que les précédents ?
J’espère que l’accueil du Parc nous aidera à être rejoints par des financeurs supplémentaires mais en tout état de cause, j’ai déjà prévu de tourner l’hiver prochain. Le film se passera au Japon et ce sera une co-réalisation avec un jeune réalisateur japonais, Igarashi Kohei, que j’ai rencontré à Locarno où il présentait lui aussi son film. Il a été élève de Nobuhiro Suwa, de Kiyoshi Kurosawa aussi et j’ai beaucoup d’admiration pour son travail. C’est un projet risqué, excitant, j’espère qu’on va trouver des belles choses.
Votre façon de monter vos films peut faire penser à l’autonomie d’un Luc Moullet. Comment vous situez-vous dans le paysage cinématographique français ?
Je crois vraiment dans le cinéma indépendant et je suis évidemment inspiré par des réalisateurs et réalisatrices qui ont façonné leur propre façon de tourner et de produire leurs films. J’ai passé plusieurs années à galérer et me demander comment faire des films dans ou hors du système et mes deux derniers films sont une réponse à ce questionnement. Pour le moment, je suis à la frontière, c’est un endroit qui me convient bien.