Dans It Must Be Heaven, Elia Suleiman fait voyager E.S., son alter ego cinématographique, de la Palestine à New York en passant par Paris. Dans un enchaînement de petites scènes burlesques, le réalisateur, avec ses faux airs de Buster Keaton ou de Jacques Tati miniature, pose un regard inquiet sur la société occidentale.
Le principal ressort comique du film résulte de la confrontation entre la mine circonspecte de Suleiman, qui reste presque toujours muet, et plusieurs personnages évoluant dans une parfaite symétrie ou synchronicité. Un motif récurrent qui se veut la métaphore d’un certain état de nos sociétés ordonnées, rigides et normatives (cette scène où des agents viennent mesurer la terrasse d’un café). S’y ajoute aussi en creux une critique de l’inflation sécuritaire, Suleiman filmant l’omniprésence des uniformes dans un Paris désert en raison de la grande parade militaire du 14 juillet. À New York, les sirènes de police hurlent à répétition, les gyrophares fendent les avenues et chaque citoyen porte son fusil d’assaut à l’épaule – la subtilité du discours n’est pas toujours de mise. Le trait le plus intéressant du film réside toutefois dans la transposition dans les villes occidentales d’éléments de conflits évoquant le contexte palestinien. Suleiman semble alors mettre en scène à la fois la mémoire traumatique du personnage qui se déplace avec lui et la montée des hostilités partout dans le monde. Dans les premières scènes situées à Paris, avant que l’on ne comprenne que l’armée se rassemble pour défiler sur les Champs-Élysées, le bruit assourdissant des avions de chasse et cette improbable colonne de chars d’assauts passant devant la Banque de France apparaissent comme autant de signaux révélateurs. Aux États-Unis, outre l’omniprésence des armes, les contrôles aux aéroports évoquent les checkpoints israéliens et le réalisateur s’amuse, dans un numéro de jonglage, à prouver qu’il en maîtrise parfaitement les modalités.
It Must Be Heaven se moque également du fonctionnement actuel de la production cinématographique. Après avoir vu son scénario refusé par un producteur français au motif qu’il ne faisait « pas assez palestinien », le héros se trouve ignoré par Nancy Grant (qui a notamment produit les films de Xavier Dolan) descendant de son bureau pour accueillir Gabriel García Bernal dans un immense hall vide et froid. Le réalisateur vient également rencontrer des étudiants dans une école new-yorkaise et, de la même façon qu’il avait retardé le moment où la présence de chars d’assauts à Paris au 14 juillet fait sens, il laisse un temps inexpliqués les costumes ridicules que portent tous les élèves avant de nous faire comprendre que la scène se situe le jour d’Halloween. Il installe alors une opposition visuelle ridicule (autre instrument comique récurrent du film) entre le vieux professeur abscons et les jeunes hipsters déguisés avachis dans la salle. Ces plaisanteries toujours un peu évidentes, voire lourdes, finissent par faire naître une question qui ne retire rien à l’agréable simplicité du film : a-t-on vraiment besoin d’Elia Suleiman pour savoir que, partout dans le monde, le climat est lourd et la création difficile ?