« T’as déjà brûlé sur un bûcher ? » C’est sur cette question incongrue que s’ouvre la première scène de Lux Æterna, moyen métrage de Gaspar Noé présenté en Séance de minuit. Béatrice Dalle, qui la pose à Charlotte Gainsbourg, incarne-t-elle alors une sorcière passée dans l’autre monde ? À mesure que la conversation se déroule, il apparaît plutôt que les deux actrices jouent leur propre rôle et que la question initiale fait référence à des bûchers de cinéma. Les deux actrices comparent alors leurs expériences de plateaux impliquant flammes, sorcellerie ou humiliation publique puis, de fil en aiguille, le tournage de scènes de sexe et les déconvenues que les actrices ont pu subir dans telle ou telle situation. Le ton badin et spontané de cette conversation savoureuse cède bientôt la place à des scènes davantage surjouées : il s’avère que Béatrice Dalle est en train de réaliser un film dans lequel Charlotte va incarner une sorcière sur un bûcher. La préparation des actrices pour la scène est émaillée de diverses complications – interruptions, conflits, épuisement – sur fond de complot pour évincer du tournage Béatrice, jugée incompétente.
Lux Æterna séduit par sa modestie : si Noé y témoigne de son goût habituel pour l’expérimentation, nulle prouesse vouée à impressionner les foules ne vient cette fois-ci entacher le projet. L’hystérie, elle, est bien présente au rendez-vous – l’écran est ici divisé en deux ou trois images afin d’user le spectateur encore plus vite – mais le grossissement du trait est ici au service d’un projet malicieux. Les scènes se déroulant sur le plateau de tournage cohabitent en effet avec d’autres composantes, qui les mettent à distance : un extrait du film La Sorcellerie à travers les âges qui suggère que l’humanité n’a pas beaucoup évolué depuis le Moyen-Âge et, surtout, des citations de cinéastes qui apparaissent à l’écran en caractère romains gravés sur de la pierre. Les cinéastes, nommés par leurs prénoms tels des apôtres, évoquent le caractère démiurgique de la réalisation cinématographique. Le cinéma serait-il un nouvel obscurantisme, au prétexte duquel des femmes se trouveraient sacrifiées ? Mises en parallèle avec les images d’un plateau de tournage sur lequel les hommes font preuve d’un manque de respect total envers les femmes, ces paroles prennent en tout cas une allure comique.
Noé accentue encore la satire dans une scène finale, avant d’emmener le film au-delà : alors que l’équipe se repaît de la vision des actrices sacrifiés sur le bûcher, le plateau de tournage se trouve soudain inondé de lumières colorées clignotant à un rythme stroboscopique. Avec ce sabotage à la cause inconnue qui fait flotter les corps dans un non-lieu, le cinéaste finit de rendre hommage aux femmes qui travaillent pour donner vie aux fantasmes d’une industrie toujours dominée par le sexe opposé, objets d’un désir cohabitant avec la haine. Grossir le trait est parfois salutaire.