Alors que son intrigue pourrait laisser présager un film de survie, empreint de drame et de suspense, Lillian d’Andreas Horvath se révèle étonnement minimal. Cette simplicité n’est sans doute pas étrangère à son approche documentaire : basé sur l’histoire vraie d’une femme qui a traversé les États-Unis à pied pour rentrer dans sa Russie natale, il a été tourné par une équipe très réduite, presque sans scénario. De ces conditions rudimentaires émerge pourtant un film ample, où le portrait critique d’une Amérique qui pratique encore la peine de mort et milite contre l’avortement se dessine par l’entremise de l’itinéraire suivi. En ce sens, Horvath n’insiste pas tellement sur les obstacles matériels rencontrés par sa figure centrale, pour qui tout semble au contraire assez facile. Lillian pénètre à l’intérieur des habitations sans difficultés et parvient à voler dans les magasins sans se faire prendre, désamorçant ainsi les attentes inhérentes au genre du survival et du road movie américain.
En outre, le corps de Lillian n’apparaît pas si marqué par les longues journées de marche, mais semble plutôt subir un retour concret à sa nature organique, à travers la recrudescence de poils et de flux (sang, urine, vomi). Ce n’est que progressivement que le récit s’achemine vers le survival, lorsque la nature se révèle hostile (un plan en hélicoptère traverse des espaces désertiques et montagneux, qui semblent infranchissables) ou que le corps de Lillian est soumis à rude épreuve (le montage assimile par exemple la roche désertique à sa bouche déshydratée). De surcroît silencieux en raison du mutisme de son héroïne, dont les sentiments ne sont révélés qu’à travers une bande-son orchestrale, le film reste nimbé de mystère jusqu’à la fin. C’est que le secret qui entoure les raisons du voyage de Lillian participe aussi du caractère universel de sa figure, porteuse d’un désir ancré en chacun de nous.