Freda, premier long-métrage de la réalisatrice haïtienne Gessica Généus, nous ramène toujours au même plan fixe sur la façade d’une petite maison de Port-au-Prince. Chaque matin, l’imperturbable Janette (Fabiola Remy) en ouvre la porte pour découvrir la devanture de son épicerie, véritable centre de gravité de ce film choral. À la morale rigide et à l’inébranlable foi de « mamie Janette » répond l’errance de ses trois enfants, Esther, Moïse et surtout Freda (Néhémie Bastien), la seule à avoir été nommée d’après la tradition vaudou, avant que sa mère ne se convertisse au christianisme. Autour du foyer, la pauvreté, la violence et la colère de la rue forment un bruit de fond que la cinéaste réussit à faire entrer dans son film avec une aisance qui fait tout l’intérêt de Freda. Aux différents fils narratifs qui structurent le récit – Esther se laisse séduire par un riche sénateur, Moïse prépare son départ pour le continent et Freda continue de résister à son amant, Yeshua, qui voudrait l’emmener avec lui à Saint-Domingue –, Gessica Généus mêle ainsi des allusions directes à la situation politique du pays sous la forme d’images tournées pendant des manifestations et de débats entre étudiants. Au cours de l’une de ces discussions passionnées, un élève lance à son professeur : « On ne va pas courir après la politique, c’est elle qui nous court après. » Une phrase qui résume assez bien la façon dont le film accueille les sujets de société les plus divers (corruption, colonisation, blanchiment de la peau, affaire Petrocaribe, etc.) sans jamais donner l’impression de cocher des cases et en inscrivant toujours le discours politique dans les trajectoires individuelles de ses personnages.
Très habile dans la chronique collective, Freda perd une partie de son efficacité dès lors que les scènes de groupe cèdent le pas à des épisodes plus tranquilles, notamment des échanges entre amants où l’affrontement des positions suit une logique plus binaire et démonstrative. De manière générale, le film a tendance à tomber dans la facilité lorsqu’il ralentit le rythme. L’énergie des acteurs et la vivacité des dialogues laissent alors place à des symboles un peu lourds : un trou dans le mur rappelant l’insécurité à laquelle chacun est sans cesse exposé, un plan sur un miroir devant lequel Freda libère une à une les mèches de ses cheveux tressés, etc. Malgré ces maladresses, Freda réussit un double pari : explorer les contradictions d’un pays à travers son petit théâtre de personnages et rendre sensible l’aspiration au départ qui forme la trame commune de leurs destinées respectives.