Soucieux de renvoyer au spectateur l’image la plus juste du milieu qu’il dépeint, le deuxième long-métrage de Rachel Lang mise sur une réelle qualité d’écriture et une mise en scène hélas un peu trop timide. Il en va ainsi de tout ce qui a trait à l’expérience de la guerre (l’entraînement, les combats, la peur), un champ que la cinéaste investit mollement. Les rares séquences d’affrontement entre les légionnaires et les djihadistes du Sahel sont filmées du point de vue de Maxime (Louis Garrel), commandant les opérations accroché à son téléphone ou caché derrière un rocher, quand les traumatismes de la violence sont très peu perceptibles, ou peut-être seulement à travers la froideur directive du soldat Vlad (Vladimir Kuznetsov) dans ses ébats avec Nikka (Ina Marija Bartaité).
Il serait cependant injuste de se borner à relever le manque d’entrain de la cinéaste, certes embarrassant, à filmer la guerre (il eut été préférable de la laisser totalement hors champ). Elle s’emploie, et c’est plutôt là que réside le véritable intérêt du film, à interroger notre rapport lointain au « travail » de l’armée. Choisir pour cadre un régiment de la légion étrangère n’est pas anodin, puisqu’en soi il se présente déjà comme un corps extérieur à notre société. Que reste-il d’une telle institution quand la population ne se reconnaît plus dans ses missions ? Des OPEX dont personne ne se soucie (ou dont on remet en cause le bien fondé, comme les amis de Maxime), un uniforme, beaucoup de rituels (la savoureuse séquence de Noël et du chant « Tiens voilà du boudin ! »), et la perpétuation au forceps d’une culture de l’entre-soi : ainsi le club des épouses, auquel Céline (Camille Cotin) est forcée d’appartenir, apparaît comme un rouage essentiel de cette société militaire. C’est pour revoir leur famille que ces hommes se battent, et c’est pour soutenir leurs hommes que celles-ci s’isolent. La vacuité de ce monde recroquevillé sur lui-même s’affirme comme un terrain fertile pour la cinéaste, qui n’est jamais plus à l’aise que lorsqu’elle assume une drôlerie reposant sur des décalages avec l’univers profane : ainsi, la route qu’emprunte Nikka pour ses leçons de conduite devient le temps d’une nuit le cadre d’un entraînement à haute intensité pour des légionnaires peinturlurés, un peu trop investis au regard du maigre danger. Rachel Lang touche juste, car quand le drame surgit – des soldats meurent toujours pour défendre les intérêts français –, c’est à travers la lucarne de la télévision, renvoyant le spectateur à sa propre distance.