« En dépit de tous mes problèmes, j’essaye de rester sain d’esprit » : cette phrase, lancée au premier tiers de La Femme du fossoyeur, résume à elle seule l’équilibre fragile sur lequel repose la vie de Guled, le héros du film. Gagnant une misère à creuser des tombes dans le désert, haï par son fils et le reste de sa famille, l’homme vit dans un bidonville de Djibouti. Son quotidien douloureux est uniquement porté par l’amour qu’il voue à son épouse Nasra, jusqu’au jour où celle-ci tombe malade. Contraint de payer la coûteuse opération qui pourrait sauver la vie de cette dernière, Guled décide de traverser le désert séparant la capitale éthiopienne de son village natal pour demander l’aide de la famille qui l’a répudié après son mariage. Si l’argument du premier long-métrage de Khadar Ahmed se pare des atours séduisants du mélodrame, il pêche toutefois par un excès de sentimentalisme. La scène d’innamoramento, répétée à plusieurs reprises, consiste ainsi en une simple danse de Nasra lors d’une fête de mariage, dont la sensualité est alourdie par l’abus des ralentis et l’utilisation d’une musique inutilement sirupeuse. Peu passionnantes, les quarante minutes qui précèdent le départ de Guled reposent par ailleurs sur une série d’oppositions schématiques et répétitives : le spectacle d’une ville en forme de chantier géant, dans laquelle erre le fossoyeur, s’oppose au cocon des amants, filmé en longue focale et en plans rapprochés, au plus près de leurs corps frémissants.
Passée cette pénible première partie, un deuxième film débute – autrement plus convaincant. Comme dans un roman de chevalerie, la quête sentimentale de Guled (parti à la recherche d’un cheptel de chèvres qu’il possédait avant son mariage) se confond avec l’épreuve d’un espace – le désert, dont la difficile traversée élève le héros au rang de mythe. Les paysages somptueux, filmés en contre-jour ou sous un soleil de plomb, servent d’écrin à la dimension sacrificielle de ce parcours lors des scènes les plus inspirées du film. Symboliquement associé à la mort dès l’ouverture (où il creuse une tombe avant d’attendre l’arrivée des cadavres devant un hôpital), Guled devient le sauveur de Nasra : par l’entremise d’un montage en forme de vases communicants, l’épuisement du fossoyeur coïncide avec le retour progressif à la vie de son épouse. La distance séparant les personnages se trouve alors comme abolie par l’amour qu’ils se portent l’un l’autre, ce dont atteste une autre scène, particulièrement frappante. Guled et Nasra, à des kilomètres de distance, racontent en même temps le récit de leur première rencontre. Tandis que le montage prolonge les paroles de l’un et les gestes de l’autre, La Femme du fossoyeur dessine enfin les formes d’un amour fou transcendant le temps et l’espace.