Certains prônent le « travailler plus pour gagner plus », d’autres, comme à Vendôme, le « voir plus pour comprendre davantage ». Petit festival deviendra grand, pourvu que les régions lui prêtent encore vie longtemps. Né il y a une dizaine d’années, le festival de Vendôme ne cesse de s’accroître, de développer une curiosité au cinéma international étonnante, devenant l’un des lieux les plus représentatifs de la vitalité culturelle en dehors de Paris. Le cinéma régional, national et mondial n’est pas l’apanage des capitales. Vendôme le prouve une nouvelle fois cette année admirablement.
Des découvertes d’Est et d’Ouest
Deux sélections de courts-métrages étaient diffusées ce week-end en compétition nationale et internationale : format idéal de la découverte, le court est également à Vendôme l’occasion de rencontrer quelques jeunes réalisateurs de toute nationalité. Sur des thèmes classiques comme l’enfance, la communication entre les êtres ou l’identité, certains films se distinguent : Tanghi Agentini, réalisé par le Belge Guido Thys est de ceux-ci. Un homme passe son temps sur internet au bureau en attendant la rencontre idéale. Tombant fol amoureux d’une danseuse de tango, il se passionne pour cet art afin d’être à la hauteur le jour du rendez-vous. Si la chute du film est particulièrement drôle et inattendue, la composition du court est tout à fait intéressante. Le centre du cadre est cet homme amoureux et solitaire par obligation, autrui ‑collègues, habitués d’un bar- arrive progressivement dans l’histoire et devant la caméra. Jouant de la veine sociale du cinéma belge, Guido Thys passe de la description d’un lieu de travail, espace récurrent aujourd’hui du vide social, à une piste de danse qui l’est tout autant. Le talent du metteur en scène est de plonger les esprits dans une histoire qui n’est pas vraiment celle du protagoniste, dans une fausse fresque remettant en question la plupart des clichés de la description du contemporain. Et de faire plus que sourire en concluant justement par un pied de nez scénaristique. L’heure n’est d’ailleurs plus à la critique sociale en tant que telle mais à ses conséquences : deux courts portent ainsi sur l’impossibilité de communication dans un cadre naturel surplombant, Firn de l’Allemand Axel Koenzen et le très angoissant Tommy du Norvégien Ole Giæver. Dans un décor de montagne, les deux films sont des combats à la Gerry. Le premier entre un père et son fils, le second entre un violoncelliste fortuné et le père de l’ancienne tête de turc de l’école. Outre le cadre géographique propice à l’angoisse, les deux films préfèrent les plans rapprochés au parallèle systématique entre l’homme et la nature. Tommy est pour cela un modèle du genre : sans rien, ou presque, sans effet grandiloquent, le face-à-face réussit à faire monter une tension entre deux hommes, une violence dont les dialogues ne cessent sur douze minutes de menacer d’explosion.
La sélection française est davantage placée sous le signe de l’absurde. Là encore, on y a trouvé deux petits bijoux : L’Ingrat, de Niav Conty, montre la difficulté d’un écrivain à écrire sur lui-même. Alors que son éditeur lui demande une biographie de cinq cents mots, le scribouillard se retrouve dans l’incapacité de s’extraire du jugement d’autrui qui assomme son esprit. Arrivant par vagues, les souvenirs, premiers et seconds, sont parasités par les différents récits d’une femme (sa mère ?) qui apparaît comme une silhouette irréelle et obsédante. Intéressant détournement du thème de l’écriture de soi, L’Ingrat plonge son personnage dans une enfance oubliée, perturbée par le souvenir des autres plus que par les événements qui l’ont composée. Pas de complexe d’Œdipe ou de traumatismes ressurgissant ici, mais une atmosphère étrange, une sorte d’angoisse qui sied parfaitement au renouvellement du traitement de l’intimité, loin d’un classicisme narrative et formel. Une autre excellente surprise de Vendôme fut le drôlissime Belle-Île-en-Mer de Benoît Forgeard : alors qu’il tente avec son patron de vendre des systèmes d’alarme, Michel est poussé par ce dernier à fracturer une porte-fenêtre pour prouver aux habitants de l’île qu’une nouvelle sécurité est nécessaire. Fuyant la volonté délictueuse de son responsable, Michel traverse un champ de maïs (tiens, tiens) et se retrouve dans une grande maison de la Pointe des Poulains qui se trouve être la maison d’Alain Souchon. Le chanteur, blasé par des hordes (absentes) de fans, vieillissant, l’accueille et tente d’en faire son valet. Outre la représentation comique du chanteur (qui ne ressemble ni physiquement ni intellectuellement, précisons-le, au personnage), le duo est décalé parce que l’on connaît Souchon évidemment, mais également parce que le réalisateur réussit à faire oublier qu’il s’agit d’acteurs. En ressort un film étonnant sur la solitude et la manipulation : la caméra semble épier ses protagonistes sans jamais tenter de les placer artificiellement dans un univers naturel. Pas vraiment une publicité pour la Bretagne, Belle-Île-en-Mer fait de Benoît Forgeard un réalisateur à suivre.
Découvertes et redécouvertes
S’ouvrant cette année sur Partie de campagne de Renoir, le festival de Vendôme remet au goût du jour certains films, anciens ou non, qui n’ont pas eu le succès (mérité) qu’ils pouvaient attendre. En marge de la projection de classiques de Renoir, de courts de Godard, ou des documentaires, plus rares, de Resnais, le festival diffuse l’admirable film de René Allio ressorti en salles, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère ainsi que l’également admirable film de Nicolas Philibert, Retour en Normandie, qui revient sur le film d’Allio et n’a malheureusement pas trouvé son public en octobre dernier. En fiction toujours, une rétrospective est consacrée au réalisateur Bertrand Bonello : le réalisateur du Pornographe et de Tirésia a débuté sa carrière avec Quelque chose d’organique il y a dix ans. Filmé quasiment en plans fixes par manque de moyens probablement, ce premier film à (re)voir est uns étrange expérience d’incommunicabilité : l’organique ici est le silence qui permet une définition de l’homme essentiellement dans ses actions. « Personne ne m’emmerde, tout va bien » déclare Paul, interprété par un inconnu qui ne l’est plus, Laurent Lucas. Fausse inexpressivité, fausse immobilité, c’est dans l’absence de lien entre Paul et sa femme, Marguerite, que le bonheur se trouve. Et ce n’est que lorsque cette dernière choisit d’aller vers l’autre que la machine se détraque, forçant Paul à se mouvoir dans un décor inconnu, dans un désir inconnu, perturbant et finalement meurtrier. La froideur de ce premier film parfois maladroit, comme beaucoup de premiers films sans production importante, réussit parfaitement à retranscrire le non-sentiment, le désert affectif. L’homme se pervertit au contact d’autrui mais s’affranchit des codes moraux lorsqu’il a refusé d’appartenir à une société humaine. Le film vaut pour sa simplicité édifiante, terrifiante dans sa mécanique, et ses deux acteurs, Laurent Lucas et Romane Bohringer : la force d’un tel festival est aussi de reprendre la carrière de certains réalisateurs un peu oubliés, de proposer une autre version de l’histoire du cinéma, plus difficile, plus âpre, et non fatalement plus élitiste comme beaucoup le pensent aujourd’hui.
Dans la série des redécouvertes, Peau de cochon de Philippe Katerine en est une réelle : le chanteur sautillant se révèle aussi un formidable conteur, drôle et émouvant. Sorti en 2004 dans l’indifférence totale, ce faux journal intime joue avec les caciques du genre. À contre-courant des autobiographes visuels comme Alain Cavalier, le Filmeur, Philippe Katerine prend sa caméra numérique et mêle séquences de retour en enfance et d’onirisme. La frontière entre autofiction et réalité devient très mince et surtout très floue : en ressort un film au pouvoir comique certain (il faut voir Katerine suivre sa femme dans la rue, persuadé qu’elle va retrouver un homme alors qu’elle est partie acheter des fruits, ou encore un ami écrivain expliquer que son nouveau roman traitera d’un géant suédois ayant « éduqué et instruit » une armée de douze mille dindons pour envahir le Chiapas), un ovni de la production cinématographique qui prouve que Katerine n’est pas seulement un faiseur de tubes de boîtes de nuit mais bel et bien un artiste complet. N’oubliez pas ce titre, Peau de cochon, il est possible qu’on y revienne… Vendôme a ainsi la volonté de réfléchir autour des différentes évolutions du style documentaire : à côté du Retour en Normandie de Philibert, il diffusera également We Feed the World, L’État du monde et quelques films d’Alain Cavalier, consacrant enfin vendredi 7 novembre une séance aux productions de la région Centre.
Parmi les nombreuses avant-premières du Festival de Vendôme, un film autrichien de Stefan Ruzowitsky, Les Faussaires, sort du lot : son traitement de l’univers concentrationnaire est original à plusieurs titres. L’histoire est tout d’abord unique : alors qu’il est le faux-monnayeur le plus talentueux d’Europe, Salomon est à Monte-Carlo en 1944. Arrêté comme Juif en 1936, il est envoyé à Mauthausen en 1939. Ses talents de dessinateur en font rapidement le portraitiste des SS du camp. Le traitement du son est particulièrement important dans la description de l’enfer nazi : pas de cris, pas de démonstration, des arrestations et des assassinats bruts dans un univers de chuchotements où rien n’est dicible ni explicable. La « chance » de Salomon, au parcours « privilégié » ‑on pense souvent au chimiste Primo Levi qui avait réussi à sortir des baraquements communs grâce à son métier- est d’être un roi des faussaires : transféré dans un autre camp, il doit produire des fausses livres sterling et des faux dollars. S’ensuit alors un combat entre déportés et gardiens du camp (SS et Kapos, nazis purs et droits communs), et entre les différents déportés, certains tentant de saboter la production de fausse monnaie, d’autres préférant la conservation d’une situation « meilleure » dans les limbes concentrationnaires. Très sobre, la peinture humaine de Ruzowitsky s’affranchit du classicisme des films historiques. L’environnement n’est là que pour définir les hommes qui s’y trouvent et rappeler ce qu’est le cas de conscience. Si la violence nazie est évidente et montrée, elle ne cache pas la realpolitik de certains, notamment du chef de camp, Burger ‑le film est d’ailleurs tiré de ses mémoires- qui voit la défaite arriver. L’oppression de l’humanité, des déportés réduits à l’état d’esclave, de sensibilité pure, d’êtres détruits dans leur capacité à l’indignation pour la plupart, est parfaitement rendue ici : la confrontation n’est alors plus seulement des gentils et des méchants, mais des révoltés et des trop faibles pour revendiquer. La relation entre Salomon qui se tait, produit sa fausse monnaie en tentant de sauver ses camarades, et d’un déporté communiste, est la plus développée des confrontations, celle du réalisme et de la fidélité à une vision de l’homme. Les Faussaires, outre son intérêt scénaristique évident, place l’idée d’urgence au centre de son propos. Sans musique tire-larme ou esthétisation à outrance, lorgnant sur le pathétique, d’un sujet toujours aussi difficile à traiter, le film de Stefan Ruzowitsky est l’une des surprises poignantes du Festival. Le film sort en France le 23 janvier. Il est enfin à noter que l’excellent film roumain, California Dreamin’, sortant sur les écrans le 2 janvier 2008, est également présenté mercredi.
Vendôme possède non seulement une église gothique magnifique mais encore une politique artistique et culturelle dynamique qui réussit à regrouper réalisateurs et films de toutes nationalités, mais à diffuser devant un public très divers des œuvres exigeantes. Aux vues des dernières déceptions cannoises, on se dit que l’avenir des festivals en France n’est vraisemblablement plus sur la Croisette. Délaissons les capitales pour aller voir des films dans le Loir-et-Cher.