En attendant un large compte-rendu des Rencontres Cinéma de Manosque la semaine prochaine, nous vous proposons ce que l’on appellera un document original : la transcription des échanges qui ont eu lieu autour de la séance de La Terre de la folie le vendredi 4 février. En présentant la manifestation, nous avions proclamé haut et fort que la projection de ce film lors des 24es Rencontres constituait une avant-première mondiale dans sa région de tournage. Avec Moullet, il faut être précis, surtout lorsqu’il est question de lieux et territoires. Alors soyons-le : ce n’était donc pas le cas puisque le film a été montré à Digne quelques jours auparavant, c’est-à-dire dans le pentagone même, alors que Manosque ne fait que frôler la fameuse figure géométrique. Nous remercions très chaleureusement Pascal Privet, animateur du débat et architecte d’une passionnante programmation autour de la relation particulière du géocinéaste à son terroir des Basses-Alpes.
Avant séance
Pascal Privet : Nous arrivons au terme du parcours que nous avons proposé au sein du territoire de la folie, avec les films de Luc Moullet qui ont introduit à la fois son cinéma et son rapport à la région.
Luc Moullet : J’ai tout d’abord fait ce film parce que j’avais remarqué que mes documentaires avaient plus de spectateurs que mes films de fiction. Alors je me suis dit que j’allais refaire un docu. Et ça s’est confirmé puisqu’il s’agit du plus grand succès public au cours de mes 44 dernières années… En France tout au moins. C’est un vieux projet pour lequel il faut remonter à août ou septembre 1962, où j’avais fait un grand entretien, avec la complicité de Bertrand Tavernier, du réalisateur américain Edgar Ulmer. Nous trouvant sympathiques, il nous a dit qu’il faudrait faire un film de jeunes, où chacun écrirait un scénario et l’on essaierait de cumuler tout ça ensemble. J’avais alors écrit La Saga des Baronnies, mais, en fait, Ulmer était idéaliste mais pas très fiable, d’ailleurs, à part un, il n’a plus pu refaire de films, il n’était donc pas à même de produire ceux des autres. Le projet a traîné, il a eu une avance sur recette, mais c’était un film de fiction qui coûtait trop cher.
En 2005, c’est-à-dire 43 ans après, j’ai eu l’idée d’en faire un documentaire où l’action serait centrée sur la folie. C’était facile d’en faire un documentaire, puisque tout ce que j’ai mis dans le film est emprunté à la réalité. On est ainsi parti sur un principe de documentaire, le scénario avait pas mal évolué en 43 ans. Aussi, ça m’a été facilité, car en me promenant au hasard dans la Drôme, j’ai trouvé dans un petit hôtel un livre sur l’histoire de la région racontant un fait dont je savais très peu de choses, parce qu’il y avait une sorte d’omerta dans ma famille à ce sujet. C’est un de mes cousins qui a tué à coups de pioche le garde champêtre du lieu parce qu’il avait déplacé sa chèvre de dix mètres. Logiquement, puisque le garde obéissait au maire, il a aussi tué ce dernier ainsi que la mairesse. Ce qui faisait un bon trait d’union, partir de moi pour arriver aux divers exemples de folie dans la région. Cet épisode devait être au début du film, mais ça m’a paru mieux si je le mettais vers la fin. Mais ça m’a bien servi pour concevoir la trame du film. Merci. À tout à l’heure. Peut-être.
Après séance
P.P. : J’ai l’impression que Luc Moullet a pensé que vous seriez tous partis, puisqu’il n’est pas revenu… (moment de flottement) Ah le voilà !
P.P. : As-tu des scrupules quand tu fais ce genre de film ?
L.M. : J’en ai eu après parce que le film a un gros défaut, et même plusieurs. Premièrement, j’ai oublié de parler de Joël Gaillard, que vous connaissez bien, je pense. C’est l’homme qui s’est échappé de l’hôpital psychiatrique de Marseille et qui avait été retrouvé à Aix. Il était là parce qu’il avait essayé de tuer le gardien du ranch de Barcillonnette qui sortait avec une de ses cousines et qu’il rendait responsable, sans doute à tort, de l’assassinat d’une jeune fille qui n’a jamais été éclairci. Ensuite, il a tué à coups de hachette, si je ne me trompe, le compagnon de sa grand-mère, lequel était âgé de 83 ans. Et effectivement, c’était un sujet très intéressant. Je suis passé dessus un peu par bêtise car ça s’est passé à Gap, donc hors du pentagone, mais l’homme était de La Saulce, situé dans celui-ci. Mais je n’avais pas fait la relation. C’est le principal défaut du film… Il y en a d’autres… Par exemple, j’ai oublié de parler de cet homme qui travaillait la lavande près de Sault, et lorsque ses affaires ont un peu périclité, il s’est immolé. Je crois qu’il y a beaucoup de cas d’immolation qui m’ont échappé. Ils sont assez difficiles à connaître parce que ce n’est pas dans les journaux, il y a une sorte d’omerta sur l’immolation. Dans de nombreuses projections loin d’ici, des spectateurs me reprochent de ne pas parler de telle affaire dans le pentagone qu’ils connaissaient bien. C’est ce qui va sans doute m’arriver ici. Donc oui, il y a des manques.
P.P. : Est-ce qu’on leur demande s’il y a des manques ?
Un spectateur : Quels ont été vos critères pour définir le crime lié à la folie ?
L.M. : La plupart du temps, ils sont définis officiellement comme des actes de folie. Puis il y a les actes intermédiaires face auxquels on hésite. C’est très difficile de déterminer où la raison et la folie commencent. Par exemple, il y a l’échelle de Richter… Si on établissait une échelle de Richter de la folie de 1 à 8, faut-il compter à partir de 1, ou de 4 ? C’est vraiment dur de juger, mais il y a des éléments qui permettent de situer. C’est évident pour les cas de folie dure, meurtres ou suicides particuliers. Pour la folie douce, il n’y a pas d’actes aussi révélateurs. Mais je crois toutefois qu’il y en a beaucoup. Je connais ça parce que je suis un peu du coin, que je connais ma famille et des proches, mais on ne sait pas tout.
Un spectateur : Il y a un crime dans la région dont vous ne nous avez pas parlé. En 1991, dans un village près de Barèmes, deux garçons aimaient une même fille, et l’un d’eux a tué son rival. Il s’est trouvé que Guy Gilbert, le prêtre des loubards, était à Sisteron pour faire une conférence. Il a donné rendez-vous à tout le monde à la cathédrale de Sisteron pour faire le point de ses démarches pour réconcilier le village complètement divisé par cette affaire. Et le samedi soir, la cathédrale était bondée et il a raconté qu’il n’avait pas pu rabibocher le village. Et toute l’assistance pleurait, j’y étais, je l’ai vécu.
L.M. : Pour ce qui me concerne, les crimes passionnels ne relèvent pas, en général, de la folie. L’argent et le sexe sont les deux motifs majeurs, ça correspond à une forme de normalité finalement un peu rassurante. Pour certains crimes, des personnes essaient de les motiver par des aspects sexuels. Pour prendre l’exemple de Lardiers, c’est le mec un peu paumé amoureux de la postière sans jamais avoir eu le moindre rapport avec elle, et qui se met à tuer à la fois la postière, l’amant de la postière, son mari et son fils, je crois, ceci tout en lacérant le lit de la postière. Je ne pense pas que l’on puisse qualifier ça de crime vraiment sexuel ou passionnel. Il a d’ailleurs été interné et a fini par se suicider. Donc ça peut être un peu tangent, mais dans un cas comme celui-là, on ne trouve pas ce côté relativement normal du crime sexuel ou passionnel.
On note aussi des ambiguïtés dans le braquage de la poste d’Eyguians, un village de 200 habitants. Et quand on braque une poste d’une telle localité, le bilan n’est pas très intéressant. C’est du droit commun, mais il y a une grande part de folie selon moi. Si on tente de braquer une grande banque à Paris, ça risque de marcher, ce n’est pas de la folie, c’est un délit banal. On peut évoquer aussi l’assassin Carpignano à Blieux. Après deux ans d’absence, il revient un beau soir et tue le frère et la sœur qu’il avait employés auparavant. C’est peut-être un crime d’argent, mais c’est tellement évident que c’était lui qu’on peut douter de ses facultés mentales. Il s’est suicidé lorsqu’il était cerné par la police, et l’on n’a retrouvé qu’une somme d’argent infime alors que le butin était de 30 000 francs… Il y a donc une part de folie pour moi, même si je me demande si la mère n’a pas gonflé le tout pour faire jouer les assurances.
P.P. : Donc tout ça conforte les résultats de ton enquête…
L.M. : Je parle ici des cas litigieux, il est difficile les cataloguer intégralement et formellement… Il y a des cas très divers…
P.P. : Mais je pense aussi à la définition du territoire, qu’en dis-tu ?
L.M. : Oui, disons que c’est une ligne avec des zones d’ombres, ce n’est pas un tracé net comme la frontière alpine entre la France et l’Italie. Mais ça recoupe assez bien. La frontière nord est assez évidente, il s’agit de la ligne de chemin de fer Valence-Briançon. Le train est le principal remède contre la folie puisqu’il a évité, à partir des années 1870 – 1880, l’isolement des régions, entraînant beaucoup de contacts avec l’extérieur. Puis ça se déplace un peu, j’ai limité à Volx, alors qu’il y a eu aussi Les Iscles tout près, et c’est assez étrange ce qui s’y est passé. Il y a une limite incertaine, qui est mouvante. Il y a 60 ou 70 ans, je crois qu’on aurait pu inclure l’Ubaye. Les cas y abondaient, comme le meurtre de Sainte-Anne ; un berger qui semblait possédé a tué son patron de façon assez atroce. Il a répondu : « Ça n’est pas moi, mais les bêtes que j’ai en moi. » Mais l’Ubaye a été conquis par le tourisme et rattaché à une vie normale. La folie a donc disparu presque complètement de la région.
Une spectatrice : Est-ce que l’hexagone n’est pas symbolique de toute la France ?
L.M. : Ah non ! Le pentagone n’est pas l’hexagone. Mais il y a effectivement mes paroles où je dis que ça pourrait être un hexagone, ce qui voudrait dire que toute la France serait concernée… Mais c’est une plaisanterie. Est-ce qu’il y a plusieurs pentagones ? Je ne pense pas. Comme le film a assez bien marché, j’ai essayé de faire une Terre de la folie 2 à propos de terres concurrentes, c’est-à-dire le Massif Central, mais je n’ai pas vraiment trouvé. Il y a deux candidats : est du Cantal et est de l’Aveyron, mais on n’en trouve pas autant. Bon, on peut toujours discuter, mais on sait quoi qu’il en soit que les troubles mentaux sont l’affaire de la moyenne montagne. On ne trouvera rien de semblable en plaine, ni en haute montagne où il y a eu la houille blanche, puis le tourisme, alpinisme puis ski. On trouvait beaucoup, comme on dit, de crétins des Alpes en Savoie, mais c’est à peu près fini maintenant. Tandis que cela reste assez présent en moyenne montagne, par définition assez pauvre. Mais on ne trouve pas la même proportion dans le Massif Central que dans le pentagone du film, malgré mes efforts de prospection.
Un spectateur : Vous parlez d’un témoignage où la personne n’est pas venue et vous le remplacez pour expliquer le cas. Par ailleurs, certaines identités sont floutées ou bien fausses, alors que d’autres s’avèrent justes. Je me suis donc demandé si certains ont eu peur de témoigner et si, dans votre démarche, vous avez rencontré des difficultés ou même des menaces.
L.M. : La personne s’est effectivement désistée pour Montclar, et je l’ai remplacée en reprenant ce qui s’est dit dans les journaux. Pour d’autres cas, certains entretiens ont été réalisés, mais, le lendemain, la personne me demandait parfois que ça ne figure pas dans le film. Par crainte de gens qui ont la gâchette facile, et quand on habite à 500 mètres, on ne peut pas vivre très sereinement dans ces conditions. Pas forcément par peur d’être tué, mais de désagréments plus indirects. On peut tuer un ou plusieurs de vos animaux, ou trafiquer les voitures, comme cela est évoqué dans le film. Il y a donc eu certains problèmes, ça n’a pas toujours été facile. Aussi, il faut savoir comment s’orienter pour trouver les interlocuteurs. Par exemple, il ne faut jamais s’adresser aux maires de la commune. Parce qu’il y a ses électeurs… Par contre, il est très profitable de demander aux anciens maires. De toute façon, quand on fait une enquête sur quoi que ce soit, il ne faut jamais se tourner vers les responsables officiels.
Je me souviens quand j’enseignais à Paris III, j’avais demandé à un élève de faire un rapport sur la fraude à l’entrée des salles de cinéma, de la part des exploitants qui cherchent à faire de meilleures affaires et à ne pas donner l’argent aux distributeurs. J’avais un élève qui était un peu idiot, avec un fonctionnement trop square, puisqu’il s’est adressé directement au responsable du syndicat des exploitants. Ce fut donc un fiasco, il a dit : « Mais comment peut-on se permettre ? Il y a bien d’autres choses à traiter dans le cinéma ! » Il faut donc ne jamais aller se renseigner auprès des officiels qui ont toujours peur de gaffer ou de perdre des voix. Certains rapports ont été ainsi un peu difficiles. Je me souviens notamment pour La Motte du Caire, je n’ai pas eu de témoignage direct, mais je suis allé trouver quelqu’un qui a écrit un livre sur l’affaire Roman.
P.P. : Il y a aussi le problème de la mémoire, le fait qu’en faisant ce film, tu réactives certains souvenirs. Par exemple pour l’histoire du village de tes grands-parents.
L.M. : La mémoire se réveille, mais le village a disparu et il est inhabité depuis plus de 40 ans.
P.P. : Mais l’histoire de ta famille, où l’on ne parlait pas de ces événements.
L.M. : Oui, mon cousin Séraphin a tué trois personnes, mais en juin 1900. J’avais mes informateurs à Séderon, mais ils n’ont pas voulu témoigner directement. Je les ai donc remplacé. Puis une de mes informatrices que j’avais simplement eu au téléphone nous voit un beau jour en train de tourner. Elle a eu cette phrase : « J’espère que vous n’allez pas donner les vrais noms. » Ceci pour une histoire qui s’est déroulée il y a plus de 110 ans. Je lui ai fait remarquer qu’en tant que parent, je pouvais me permettre cette fantaisie de faire parler la réalité. On peut d’ailleurs me reprocher quelques petites anicroches dans le film, notamment à propos des coups de pioche de Séraphin. Dans le film, il y a un coup de pioche par mort, or ça n’est pas si facile que ça de tuer par ce biais, je peux vous le dire. Il a dû en donner plus, mais d’un point de vue cinématographique, c’était plus porteur. Et sans m’en rendre compte, j’ai été influencé par le film d’un confrère, Alfred Hitchcock. Dans Psychose, on retrouve ce même type d’arrangement. Il y a donc des choses qui ne sont pas très justes. Je pense aussi que Séraphin avait d’autres griefs à l’égard du maire, mais c’est la goutte d’eau qui a fait déborder la pioche.
Une spectatrice : Est-ce qu’il y a des cas dont vous n’avez pas pu parler ?
L.M. : On peut à peu près tout dire. J’avais tout de même consulté à ce sujet un avocat qui avait attiré mon attention sur les affaires où il n’y a pas eu de presse. Les journaux font comme une sorte de précédent. Je remarque que les cas d’immolation ont presque toujours été étouffés. Pas le feu, mais l’affaire. Il y a eu des contacts entre les familles et les journalistes du coin, mais je ne sais pas comment ils se sont débrouillés, s’ils ont été invités à manger, si on leur a offert des pots de miel ou de la lavande, mais les affaires ne sont pas sorties dans les journaux. À Saint-Michel, c’est différent puisque ce n’était pas quelqu’un du cru. D’ailleurs ça n’a pas été si facile pour cette affaire, j’avais toujours essayé le maire, on ne sait jamais, mais les gens ont été plutôt contre cette évocation. Car ici, en plus de l’immolation, il y a eu le meurtre du curé. Ce dernier crime ne me semble pas être de la folie, puisque c’était pour voler les trésors de guerre accumulés par ce prêtre. Lors du tournage, la responsable de la chapelle s’est précipitée de façon assez hystérique en disant que le maire ne voulait pas qu’on filme, avec la peur que cela entache une fois de plus l’image du village. J’ai joué les diplomates et mon âge l’a rassurée. Je lui ai dit que j’aimais beaucoup les chapelles, et ça a marché. J’ai tout de même eu peur qu’elle attrape une crise cardiaque, donc je ne lui ai pas dit la vérité, je crois que j’ai bien fait. Je remarque au passage que ces morts brutales et ces actes de folie sont souvent liés à la religion, soit on tue le curé, ou bien on s’immole devant le lieu de culte. Toutes les religions d’ailleurs, aussi bien officielles qu’officieuses.
Un spectateur : Vous avez très bien défini l’espace concerné par ces problèmes de folie, mais le problème, aujourd’hui, peut-il encore être contagieux pour les néo-Provençaux ?
L.M. : Ah oui oui, bien sûr !
Spectateur : Parce qu’il faudrait les prévenir !
L.M. : Vous aviez un exemple en tête…
Spectateur : Non, je ne pensais pas à vous…
L.M. : Vous avez tort de ne pas penser à moi…
Spectateur : Pour préciser ma question, puisque votre étude est très sérieuse, croyez-vous qu’il y a plus de crimes de nos jours que par le passé ?
L.M. : Pour ce qui est du passé, je ne sais pas. J’ai cependant été très étonné des nombreux actes de folie dure récents, je pensais qu’avec la disparition des motifs traditionnels – la malnutrition ou la consanguinité –, cela s’estomperait. N’empêche qu’il y a des prolongements sur une ou deux générations. Lors du tournage – environ un mois –, il y a eu par exemple au Vernet quelqu’un qui a été sorti de l’hôpital psy et qui a tué de façon assez atroce la tenancière du café de cette petite localité, à coups de bouteilles de bière. Surtout qu’elle avait 70 ans. Il sortait de l’hôpital où il prenait ses médicaments, mais il y a eu surdose, alors que le dosage doit être précis. Cette histoire s’est passée juste à la fin du tournage. Pendant ou juste avant celui-ci, il y a eu l’affaire de Saint Michel, et celle de folie douce de cet homme qui jette du deuxième étage ses meubles enflammés. Il est ensuite sorti dans la rue à demi nu en réclamant un psy et un prêtre. On a appelé le GIGN de Nice pour éclaircir la situation. On avait un peu peur à Digne… Donc, c’est étrange, mais ça continue… Huit jours avant la fin du tournage, il y a eu aussi cet homme venu de la Drôme dans les gorges du Verdon. Il avait un 4x4, et pour être certain de ne pas se rater, il a scié méthodiquement les glissières de sécurité. Ce n’est peut-être pas de la folie, mais c’est assez curieux.
Puis il y a d’autres affaires récentes, pas plus tard qu’hier dans le journal, avec l’enseignant de Digne [Un professeur d’allemand recruté comme vacataire s’est avéré être un évadé d’une unité psychiatrique de Belfast, ce dangereux psychopathe avait été interné pour avoir poignardé un homme, il disait appartenir au MI5]. Donc vraiment une foule de choses étranges… La folie est souvent liée à la religion, mais aussi aux enseignants, ce qui est assez normal. C’est difficile de l’être. Dans le cadre du primaire, on commence à enseigner les tables de multiplication à la vingtaine, et l’on continue jusqu’à 60… euh non 67, hein !? Et ça tape un peu sur le système, et les enseignants ont souvent besoin d’une année de jachère. Ce qui fait pas mal de dépressions nerveuses. Les actes de folie ne sont pas forcément effectués par les enseignants eux-mêmes, mais au sein de leur famille. Souvent les fous ont un enseignant dans leur entourage familial direct, ce sont donc des actions indirectes. Peut-être parce que c’est une profession assez absorbante, et, si l’on fait bien son travail, on n’a pas le temps de s’occuper des siens. Il y a donc des raccords comme ça… De la même façon que la folie a souvent beaucoup de rapports avec le personnel des PTT. Pourquoi ? Parce que la personne que l’on rencontre quand on déambule dans un état de démence, c’est très souvent le facteur ou bien celui ou celle derrière le guichet des PTT. Vous avez pu voir plusieurs cas dans le film, la postière de Lardiers, celle d’Eyguians avec le braquage. Le forçat avait essayé de la tuer, mais elle était bien retranchée et il n’a pas pu. Donc ce sont les gens des PTT qui sont visés.
Une spectatrice : C’est pour ça qu’il n’y aura bientôt plus de postes…
L.M. : Oui, c’est pour cette raison qu’on les ferme.
P.P. : Et pour terminer, est-ce possible de tirer des conclusions à propos de cette problématique qui nous inquiète ? Ceux qui sont originaires d’une autre région sont-ils menacés par une contagion ?
L.M. : Bien sûr. En venant ici, ils sont imprégnés des conditions locales et des nombreux cas. Il y a de nombreuses villes ou régions où l’on n’ose pas, car ça ne se fait pas de passer à l’acte. Tandis qu’ici, ça fait un peu partie du patrimoine. C’est le phénomène des vases communicants. Par exemple, on peut n’avoir jamais été dans la région, mais si on a, par exemple, une mère des Hautes ou Basses-Alpes, on est marqué pour la vie. J’ai par exemple une cousine qui est débile alors qu’elle a toujours vécu à Paris, mais qui avait une mère haut-alpine. Il y a donc une sorte d’osmose… Et souvent, ceux qui arrivent dans les Alpes du Sud ne trouvent pas leur place ailleurs, donc ça sert un peu de dépotoir. Il y a eu des Italiens, mais pas seulement. Des formes de contagion existent donc, puis il y a des rapports difficiles entre gens du coin et néo-ruraux.
P.P. : Merci Luc, alors peut-être qu’il y aura un exode à partir de demain…
L.M. : Oh je ne pense pas car ça attire plutôt les gens, et donne une personnalité à la région.