Ah Venise ! Ses ruelles labyrinthiques, ses vieilles pierres, ses moyens de transport pittoresques… Tout ça est bien gentil, mais Wiseman et son Crazy Horse nous sont passés sous le nez. Allons toujours voir Love and Bruises de Lou Ye, réalisateur sulfureux en Chine (Une jeunesse chinoise lui a valu une interdiction de tourner pendant cinq ans, qu’il a bravée en réalisant Nuits d’ivresse printanière), qui entend bien le rester dans cette production et ce tournage français évoquant une passion aussi torride que chaotique.
Pas facile d’être une Chinoise débarquant en France, surtout quand on se fait larguer sans ménagement devant les escalators du Forum des Halles – au moins le Pont Neuf, c’est plus classe. Gros coup derrière la tête, suivi d’un autre ; alors que Hua erre dans Paris, une longue barre métallique tubulaire lui sonne le coin du crâne. Maladroit manutentionnaire, Matthieu se révèle attentionné, et bigrement attiré. Échange de numéro, petit resto, la partie de drague sans fard du jeune homme vire au premier baiser, difficilement arraché, puis à l’accouplement brutal mais orgasmique dans un sombre recoin. Matthieu est un écervelé sanguin doublé d’une petite frappe alors que Hua fréquente des lettrés raffinés : altérité. Mais au lit – espace égalitariste ? –, ça roule, Lou Ye ne se prive pas de nous le montrer.
De virages en rebondissements, Love and Bruises déroule son programme – on s’aime, mais qu’est-ce qu’on souffre !/on souffre, mais qu’est-ce qu’on s’aime ! – et bien des maux pèsent sur lui. Parmi lesquels une écriture peu affirmée et des dialogues raplapla ; reconnaissons que c’est un peu facile, mais il est difficile de résister à la citation de ces mots prononcés au deux tiers du film : « on ne peut pas s’entendre, puis on est trop différents. » Lou Ye fricoterait-il avec Mia Hansen-Løve ? (Pardon, je n’ai pas résisté non plus…) On pourra toujours rétorquer : mise en scène vibrante, caméra sensible et mouvante à l’affût de l’état intérieur des protagonistes, dans le mouvement des corps, etc. Sauf qu’un geste estampillé auteur ne transforme pas son énonciateur en un regard. Pour l’occasion, la complexité de ce dernier est l’exact opposé de celle du désir et du sentiment amoureux.