Beau sujet que celui d’une mère dont l’amour et le désir de protection filial basculent dans la pathologie. Beau sujet, qui finit toutefois par se dissiper dans un film où les intentions abondent, et les parti pris véritables, visuels ou narratifs, manquent à l’appel.
Une famille divisée
Saverio Costanzo met en scène la rencontre entre un Américain et une Italienne à New York. Deux personnages dont la relation, apparemment transitoire, grandit, au point que lorsque cette dernière tombe involontairement enceinte, la maternité débouche sur le mariage et la fondation d’une famille. Dans ce scénario idyllique, le drame n’intervient que par contrecoup, à mesure que la protagoniste se mue en mère fanatique, ultra-possessive, et vegan (!), gardant son enfant cloîtré dans le logis familial en le nourrissant de légumes du potager et d’huile de colza. Le petit dépérit, et s’ensuit alors une course contre la montre pour savoir si le père réussira à s’émanciper de la tutelle angoissante de sa femme et à sauver son fils, aidé en cela par sa propre mère (la grand-mère donc), nettement plus combative.
Le film a la chance de pouvoir compter sur un intéressant duo d’acteurs : Alba Rohrwacher, dans son rôle de mère anémique à moitié possédée, et Adam Driver, dans celui d’un père dépassé par les événements. Alors que la première bascule dans l’obsession, faisant levier sur l’aspect aérien et fantomatique de l’actrice, le second finit graduellement par porter toute la gamme émotionnelle du film en donnant forme aux tiraillements de ce jeune père impuissant devant la dérive de son épouse. On avait vu Driver dans Frances Ha de Noah Baumbach et Inside Llewyn Davis des frères Coen : deux rôles de hipster tirant parti de l’impact physique et de la coolitude immédiate de ce grand dadais, nez aplati, oreilles décollées, voix grave et mélodieuse. Celui-ci subvertit graduellement cette image étriquée en faisant preuve d’une vraie plasticité expressive et d’un talent indéniable pour illustrer le mélange entre la douceur de son personnage et la violence psychologique à laquelle celui-ci est soumis par son épouse, sur le fil d’une privation constante (de son fils, de sa femme, du monde extérieur).
De tout et de rien
Mais à part cette éclaircie, le film de Saverio Costanzo se présente comme un enchaînement d’idées intéressantes qui en restent au stade potentiel. Pour commencer, on attendrait d’un tel titre une œuvre ayant pour objet la faim : Hungry Hearts, s’agira-t-il du désir, de l’appétit charnel, de la passion des corps ? Ou bien d’une faim plus profonde, d’un besoin d’amour partagé par deux êtres ? Ou encore de l’amour filial comme nutriment, transmission de vie ? Sans doute des trois, mais pas assez pour que se dégage le sentiment que l’une de ces facettes constitue l’objet d’un véritable investissement filmique. Il semble en fait que le réalisateur pèche par le choix d’essayer une myriade de tons et de références pour n’en exploiter finalement aucune. Seul résultat : la sensation de passer du coq à l’âne, entre la rencontre placée sous le signe de la comédie à l’ambiance de thriller des dernières scènes, sans oublier les références au film d’horreur ponctuellement exhumées à chaque vue du huis clos dans lequel l’appartement du couple se mue petit à petit (mère possédée, bougies dans la salle de bain, bruits de carillon et armoire remplie de fioles mystérieuses sont au rendez-vous).
Mais c’est surtout au niveau du traitement d’une histoire pourtant prometteuse que l’on est en droit d’éprouver quelques regrets. La construction, l’évolution, enfin le déchirement d’un couple autour de l’amour filial : ce thème complexe perd immédiatement de sa richesse à mesure que le film, au lieu de maintenir un regard équidistant sur les personnages, fait pencher la balance du côté d’un père irréprochable, si ce n’est par sa trop grande diplomatie et son trop grand amour pour son épouse. Qui elle, en revanche, apparaît comme caricaturale : Costanzo, à défaut de nous montrer la dimension évolutive du bouleversement que la maternité induit dans cette figure troublante, se cantonne à la mise en scène d’une mère murée dans son « instinct » et son amour maladif. Le spectateur finit par perdre toute empathie à l’égard de cette dernière, et donc toute compréhension, le seul enjeu étant l’attente impatiente du moment où le père aura le courage de se rebiffer. Jamais à vrai dire, c’est sa mère qui s’en charge : « Vive les grands-mères ! », s’écrie un spectateur dans la salle au moment où cette dernière empêche l’épouse de kidnapper son enfant. On aurait voulu éviter le pugilat, et rester indécis un peu plus longtemps.